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Le château de Gratot
et l'ermitage de St-Gerbold

Le petit château de Gratot après huit siècles de prospérité fut abandonné aux vicissitudes du temps. Tombé en ruine, il est depuis 1970 restauré avec passion par une association et ouvert au public.

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La première mention du nom de Gratot apparait en 1126 dans une charte souscrite à l'abbaye de Lessay où Clerembold de Gratot abandonna ses droits sur l'église de Gefosses (village voisin de Gratot). À la fin du XIIe siècle, le fief de Gratot passa à la famille de Creully. Richard de Creully, fidèle du roi d'Angleterre Jean sans Terre, fut dépossédé de son domaine en 1204 par le roi de France, Philippe Auguste, qui le rendit à Hugues de Gratot. Jeanne, sa fille, apporta en 1237 la seigneurie de Gratot en dot à son époux, Guillaume d'Argouges. Lors de son mariage, en 1270, avec Jeanne de Granville, Raoul d'Argouges ajouta le fief de Granville à celui de Gratot. En 1402, Philippe d'Argouges, écuyer, épousa Marguerite de la Champagne. Ensemble, ils feront construire la chapelle St-Gerbold entre 1402 et 1417. Philippe d'Argouges fut tué en 1418 en combattant les troupes du roi d'Angleterre Henri V qui confisqua une partie de ses biens. Son fils, Jean, les récupéra après l'expulsion des Anglais du royaume de France. Jacques d'Argouges épousa, en 1566, Renée de Pont Bellanger qui lui apporta en dot le château de Rasnes (Orne).

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La poterne

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La tour ronde

Madeleine Clausse, veuve de Charles d'Argouges, partagea en 1634 ses biens entre ses enfants. Elle attribua le château de Gratot et le château de Rasnes à des fils différents. Sous Louis d'Argouges (1605-1695), la seigneurie de Gratot fut érigée en marquisat. Louis fit transformer la façade du château pour en faire une résidence de plaisance. Il fit élargir les douves pour en faire un plan d'eau de plaisance et créa les jardins à la française à l'arrière du château. Il fit également construire un grand logis entre les tours ouest et nord. Ses descendants vont être confrontés à des difficultés financières et notamment Jean Antoine d'Argouges qui dilapida un patrimoine considérable, les propriétés de sa femme reçue en dot et celles de son père et de ses quatre frères reçus en héritage. En 1771, il fut obligé de vendre le château de Gratot en viager à l'évêque de Coutances, Ange François Talaru de Chalmazel. En 1773, Bon Luc du Homméel, apparenté à la famille d'Argouges, revendiqua le domaine, obtint gain de cause et reprit le viager engagé par l'évêque. Jean Antoine d'Argouges mourut en 1777 sans héritier. Un inventaire des biens fut alors réalisé par un notaire qui constata que le château de Gratot n'était plus entretenu et était assez délabré. Selon cet inventaire, le domaine comprenait sur 4 hectares : "une maison seigneuriale couverte en ardoises et les communs au sud, le tout entouré de douves ; à l'ouest, en bordure des douves, une charreterie et un lavoir ; à l'est, à l'extérieur des douves, une grange, deux charreteries, une boulangerie ; au sud, en dehors des douves dans la basse-cour, un corps de bâtiment à usage de ferme avec laiterie, étable, écuries, grenier et pressoir ; l'église de Gratot (clocher du XIIIe siècle et chœur du XVe siècle) qui est la chapelle du château". La veuve de Jean Antoine fut autorisée à rester pour quelques semaines au château. Elle se retira ensuite dans un couvent de Bayeux.

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Les communs du château

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La charpente des communs

En 1800, un incendie détruisit le bâtiment situé entre la tour de la Fée et la maison seigneuriale. En vue de sa réhabilitation, Alphonse Lemerre, éditeur parisien, racheta le domaine en 1910. À cette époque, le château n'était plus habité depuis longtemps, seule la grande salle de la maison seigneuriale était louée pour des repas de mariage. Alphonse Lemerre mourut en 1912 avant d'avoir engagé les travaux. En juillet 1914, la poutre maitresse de la grande salle céda entrainant l'effondrement d'une partie des étages. Le château fut racheté en 1924 par des marchands de biens qui dépecèrent l'intérieur en revendant les boiseries, les cheminées, les fenêtres, etc. En 1925, Jean et Louise Tiphaigne, fermiers sur le domaine depuis de nombreuses années, rachetèrent le domaine. Ayant du mal à payer les échéances, ils acceptèrent en 1929 l'offre de rachat d'une Américaine. Celle-ci ne viendra cependant jamais signer les papiers chez le notaire. La toiture s'effondra sous le poids de la neige entrainant avec elle les planchers jusqu'à la cave en 1939. La ruine du château fut convoitée en 1945 par un autre Américain qui projetait de démonter le château pierre par pierre pour le reconstruire aux USA. Le propriétaire refusa cette offre. Le château était totalement ruiné en 1960. En vue de sa restauration, une association fut créée en 1968. Elle obtint le classement aux Monuments historiques en 1970.

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La tour Ouest

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La tour Ouest

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Le logis seigneurial

L'entrée du château se fait depuis la fin du XVIe siècle par la poterne. Elle est constituée d'une double porte, l'une pour les charrettes et l'autre pour les piétons. Elle est devancée par un pont en bois enjambant les douves et qui remplace depuis 1800 le pont-levis. Au 1er étage de la poterne se trouve la salle des gardes. De part et d'autre de la poterne se trouvent les communs construits à la fin du XVIe siècle. S'y trouvent les écuries voutées, l'étable, les remises et des greniers à l'étage. Ces bâtiments ont toujours été entretenus, car ils étaient utilisés par la ferme du domaine. Selon l'inventaire de 1777 se trouvaient également à cet endroit la salle commune des domestiques, une cuisine, un office, un garde-manger, une laverie, un garde-meuble, une buanderie, une laiterie et trois chambres pour le personnel. À l'époque, le personnel se composait d'une dizaine de personnes (cuisinier, cuisinière, maitre d'hôtel, lingère, deux cochers, trois servantes et un valet de charrue). Sur le côté ouest, côté cour, les lucarnes de l'étage sont ornées de trois boules en granit surplombant un demi-soleil. Ce détail architectural signifiait que le seigneur du lieu était exonéré du payement de certains impôts.

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L'entrée primitive du château se faisait par une porte avec pont-levis percé dans la tour ouest. Cette tour fut murée à la fin du XVIe siècle lors de la construction de la poterne. L'accès au 1er étage de cette tour carrée, construite au XIIIe siècle, se faisait par le chemin de ronde des remparts (disparu à une époque inconnue). La tour fut transformée en colombier. Nous pouvons encore y voir des latrines suspendues au-dessus des douves.

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L'arrière du château

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Le pont d'accès au jardin

Les caves du château sont constituées de trois espaces voutés en enfilade. Elles datent du XVIIe siècle et servaient de caves, mais surtout de pièces de service pour les domestiques. S'y trouvaient la cuisine, l'office et le garde-manger. Selon l'inventaire de 1777, elles abritaient 3148 bouteilles de vin, 70 bouteilles d'eau de vie, 7 tonneaux de 3000 à 7000 litres et 8 tonneaux de cidre. Le bâtiment nord est le vestige le plus ancien. Construit à la fin du XIIIe siècle ou au début du XIVe siècle il a une forme massive apparentée à une maison forte surplombant les douves. Au XVe siècle, il fut intégré au logis seigneurial construit entre la tour ronde et la tour à la Fée. Le logis seigneurial fut remanié au XVIIe siècle. La façade fut refaite, les fenêtres agrandies, des boiseries et des stucs habillèrent les murs des pièces, des lucarnes en plein cintre furent aménagées dans les combles et un perron monumental permit l'accès aux pièces de réception du rez-de-chaussée. Aux étages se trouvaient les pièces de vie et les chambres. À l'origine, le logis comprenait trois étages et une quinzaine de pièces.

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Les caves

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Les caves

À l'ouest du logis seigneurial se trouve la tour ronde du début du XVe siècle. Elle comprend un escalier à vis desservant tous les étages du logis de la cave au grenier. Certaines portes furent murées lors de la transformation du château au XVIe siècle. Elle est coiffée en poivrière et est surmontée d'un petit tourillon qui porte un observatoire. Nommée au XVIIe siècle tour à l'horloge, elle comprend en partie supérieure une belle chambre ronde et voutée possédant une cheminée monumentale. Sur le côté est du logis seigneurial se trouve une tour octogonale du XVe siècle, la tour à la Fée. Cette tour possède un sommet carré en encorbellement avec une fenêtre renaissance et un toit en bâtière. Ces portes donnent par contre sur le vide depuis la destruction par un incendie en 1800 du logis seigneurial. La délicatesse de l'architecture et le travail ouvragé des encadrements des portes démontrent le rôle noble joué par cette tour. La légende du château explique le nom de cette tour. Dans un temps lointain, un seigneur du château rentrant de la chasse dirigea son cheval vers une fontaine. Le seigneur y vit une très belle femme qui s'y baignait. Les bruits des pas du cheval firent fuir la Dame laissant le seigneur dépité et amoureux. Après de nombreux jours d'attente, la Dame réapparut et le seigneur lui déclara sa flamme. Elle lui dit qu'elle était la fée Andaine et n'accepta de devenir son épouse qu'à la condition qu'il ne prononce jamais le mot "mort". Sept années de bonheur s'en suivirent. Lors d'un tournoi organisé au château, la dame Andaine, très coquette, se faisait attendre. Son mari le seigneur exaspéré lui cria alors du pied de la tour "Dame êtes lente en vos besognes, seriez bonne à aller quérir la mort". Le mot fatidique ! La fée poussa un horrible cri et disparut par la fenêtre ou l'empreinte de sa main est restée gravée sur le rebord. Depuis ce jour, durant les nuits de tempête, on peut entendre la fée gémir sur les murs du château "la mort, la mort !"

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La tour de la Fée

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La tour de la Fée

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La tour de la Fée

À l'ouest du logis seigneurial fut construit, au XVIIIe siècle, le pavillon. Il s'agit d'un pavillon massif avec un toit à la Mansart et un fronton triangulaire percé d'un œil de bœuf sur la façade nord et ouest. Une aile perpendiculaire s'avançait dans la cour, mais trop ruinée, elle fut détruite au début du XXe siècle. À l'arrière de la tour nord, un pont à quatre arches, construit au XVIIe siècle, enjambe les douves pour donner accès au jardin à la française. Ceux-ci d'une superficie de 1,3 hectare sont entourés de murs. Les douves, d'une superficie de 6000 m3, ont une profondeur de 0,3 à 3 m et sont alimentés par la fontaine à la Fée. Au XVIIIe siècle, elle servait de plan d'eau de plaisance où les nobles se promenaient en barques.

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Le pavillon du XVIIIe

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Le pavillon du XVIIIe

L'ermitage St-Gerbold

Gerbold naquit probablement dans le Calvados puis vécut en Angleterre comme intendant d'un riche seigneur. L'épouse de ce seigneur lui fit vainement des avances. Furieuse d'avoir été éconduite par Gerbold, elle l'accusa d'avoir abusé d'elle. Gerbold fut condamné et jeté à la mer, attaché à une meule, qui par miracle flotta et l'amena à Ver-sur-Mer près de Bayeux. Gerbold décida d'y vivre en ermite. Mais la population, au courant du miracle, lui demanda de succéder à l'évêque qui venait de décéder. Au bout de quelque temps, l'autorité et la rigueur morale dont il fit preuve lui valurent l'inimitié des Bayeusains qui le chassèrent. Furieux, Gerbold jeta alors son anneau épiscopal dans la rivière en jurant qu'il ne reviendrait que si quelqu'un lui rapporte l'anneau. Le châtiment divin ne se fit pas attendre et une épidémie de dysenterie sévit bientôt parmi la population qui s'était détournée de la religion. Seul Gerbold pouvait les guérir. Un pêcheur découvrit alors l'anneau épiscopal dans le ventre d'un poisson et l'ermite tint parole. Dès sa reprise de la fonction d'évêque, l'épidémie cessa. Gerbold mourut en 695. Ses reliques sont conservées à l'église du Petit Celland et au musée Baron Gérard de Bayeux. L'église le fête le 7 décembre.

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L'église du château de Gratot

Il n'existe aucune indication de la présence de St-Gerbold au château de Gratot, cependant la famille de Philippe d'Argouges était originaire de Bayeux, ce qui pourrait expliquer pourquoi Philippe d'Argouges fit construire, près de son château, entre 1407 et 1417, une chapelle dédiée à ce saint. En 1451, Raoul d'Argouges concéda la chapelle à un prêtre de Gratot, Thomas Mauger. À charge de ce dernier d'y dire deux messes et de payer un chapon au seigneur de Gratot le jour de la fête de St-Gerbold. En 1619, Charles d'Argouges transforma la chapelle en ermitage. Un paroissien offrit, en 1623, un lopin de terre pour que l'ermite puisse cultiver un "jardin à herbes" (potager). L'évêque de Coutances autorisa, en 1749, l'ermite à quêter aux alentours de l'ermitage. Lors de la Révolution française, l'ermitage fut vendu comme bien national le 17 février 1791 au procureur-syndic du district de Coutances.

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Au début du XIXe siècle, l'ermitage retourna dans les possessions de la famille d'Argouges (Guillaume d'Ouessey) et redevint ermitage jusqu'en 1830 à la mort du dernier ermite. Depuis le XVIIe siècle, sept ermites se sont succédé dans les lieux. Le premier fut frère Gilles de Saint-Joseph. Poète, il y écrit un recueil d'odes dédiées au seigneur de Gratot. Selon la légende, les ermites morts à l'ermitage (certains d'entre eux n'y étaient restés que quelque temps) seraient enterrés dans le "jardin à herbes". En 1830, l'endroit fut vendu à la famille Quesnel qui le transmit par héritage et mariage à la famille d'Annoville en 1852. Revendus, les nouveaux propriétaires l'utilisèrent en dépendance agricole avant de s'en désintéresser. En 1878, le bâtiment était ruiné et en 1947 la voute s'écroula. Déclaré Monument historique en 1995, le site fut racheté par le Conseil général en 2000 pour être restauré. Lors des travaux, une statue de St-Gerbold daté du XVe siècle fut exhumée des gravats accumulés dans la nef de la chapelle.

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Ces photographies ont été réalisées en juin 2017.

 

Y ACCÉDER:

Le château de Gratot est situé à la sortie du village de Gratot, le long de la D244 en direction de Gouville-sur-Mer. L'entrée au château est payante.

Pour accéder à l'ermitage, prendre à Gratot, la D244 en direction de Coutances et suivre le fléchage sur la gauche de la route.

 



Les indications pour accéder à ce lieu insolite sont données sans garantie. Elles correspondent au chemin emprunté lors de la réalisation des photographies. Elles peuvent ne plus être d'actualité. L'accés au lieu se fait sous votre seule responsabilité.

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Cette page a été mise en ligne le 24 septembre 2017

Cette page a été mise à jour le 24 septembre 2017