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L'opération Jubilée

Le 19 août 1942, les alliés tentèrent un débarquement au niveau de la ville de Dieppe. Conçu comme un raid destiné à ébranler les Allemands, l'opération tourna rapidement au désastre. Des 6153 hommes envoyés sur les plages de Dieppe, seulement 2078 furent récupérés en fin de matinée, les autres furent tués ou fait prisonniers par les Allemands.

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Le cimetière canadien de Dieppe

En 1942, les troupes allemandes triomphaient sur tous les fronts. Les Anglais perdirent Tobrouk aux portes de l'Égypte mettant le canal de Suez à la portée des Allemands. Les U-boat coulaient deux fois plus de bateaux qu'en 1941 et 200 divisions allemandes exerçaient une énorme pression sur l'armée russe et progressaient vers les champs de pétrole du Caucase. Staline pressa donc les Anglais et les Américains pour qu'ils ouvrent un deuxième front en Europe. Roosevelt laissa entendre à Viatcheslav Molotov, ministre des Affaires étrangères de Staline, qu'un débarquement pourrait avoir lieu en France à l'été 1942. Churchill, très réticent à cette idée, aurait préféré un débarquement en Afrique du Nord. Il accepta finalement une opération limitée sur les côtes françaises.

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Débarquement des chars Churchill sur la plage de Dieppe (© Wikipédia)

Lord Mountbatten, chef du Quartier général des opérations combinées, fut donc chargée d'organiser l'opération "Rutter" avec pour objectif le port de Dieppe. L'opération fit appel à la marine britannique, à la Royal Air Force (RAF) et aux troupes des Unités du corps d'armée du Canada qui n'avait pratiquement pas été engagé depuis le début du conflit. Le commandement fut confié au général Crerar. L'opération fut prévue pour le 8 juillet 1942 et les troupes furent embarquées sur les bateaux plusieurs jours avant. La découverte par le renseignement militaire que la 10e Panzerdivision venait d'arriver à Amiens pour un repos après son engagement sur le front russe et les mauvaises conditions météo, empêchant le bombardement préliminaire, conduisirent à l'annulation de l'opération. Pour l'État-major britannique et le général Montgomery, commandant en chef des forces britanniques du sud de l'Angleterre, cette annulation était définitive, car le secret de l'opération ne pouvait plus être assuré du fait que les hommes avaient rejoint leur cantonnement à terre. Après le transfert du général Montgomery en Égypte et le remplacement du contre-amiral Baillie-Grohman, commandant des forces navales de l'opération, par le contre-amiral Hughes-Hallett, Lord Mountbatten décida la reprise de l'opération en la baptisant "Jubilée".

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La plage de Dieppe après le débarquement (© Wikipédia / Bundesarchiv)

L'opération, conçue comme un raid où il n'était pas prévu de conquérir et de tenir un territoire, fut confiée aux troupes d'assaut de la 2e division d'infanterie canadienne du Major général John Hamilton Roberts. Ceux-ci furent contraints à un entrainement intensif en Angleterre. Participèrent à l'opération 4963 Canadiens, 1125 Britanniques, 50 Rangers américains et 15 fusiliers marins français. La flotte de débarquement était constituée de 237 bateaux, dont sept destroyers britanniques, un destroyer polonais et quatre chasseurs de mines français. La couverture aérienne était assurée par 46 escadrilles de Spitfire, de 8 escadrilles de Hurricane, de 3 escadrilles de Typhoon, de 4 escadrilles de Mustang, de 7 escadrilles de bombardiers DB-7 Boston et Bristol Blenheim et 5 escadrilles de bombardiers B-17. Les avions de la RAF étaient placés sous le commandement du vice-maréchal de l'air Leigh-Mallory qui, en plus du soutien aux troupes au sol, était déterminé à écraser la Luftwaffe afin de prendre sa revanche sur la bataille d'Angleterre.

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Péniche de débarquement LCM (© Wikipédia)

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La plage de Dieppe (© Wikipédia)

Les objectifs assignés au raid étaient l'inspection et la destruction des installations de défense des plages, des radars, des installations portuaires, téléphonique, ferroviaire, stations d'énergie et la destruction des navires prévus pour le débarquement allemand en Angleterre stationnée dans le port de Dieppe. Il était prévu cinq lieux de débarquement. Le commando n° 3 devait débarquer, à l'aide de 23 péniches, à 4 h 50, à Berneval. L'opération "Flodden" avait pour objectif, depuis les plages jaunes 1 et 2, la batterie d'artillerie Goebbels armée de trois canons de 170. Le Royal Regiment of Canada, débarqué à 4 h 50 sur la plage bleue au Puys, avait pour objectif la neutralisation des quatre canons de 100 de la batterie Rommel, puis de rejoindre Dieppe. Le commando n° 4, commandé par Lord Lovat, débarqué à 4 h 50 sur les plages orange 1 et 2 à Varengeville-sur-Mer, devait détruire la batterie Hess armée de six canons de 150. La 6th Canadian Infantry Brigade sous les ordres du brigadier W. Southam, débarqué à 4 h 50 sur la plage verte à Pourville, devait détruire la station radar "Dickhäuter", prendre le contrôle de la Ferme des Quatre Vents et du promontoire surplombant au sud-ouest Dieppe, puis, après avoir été rejoint par les chars débarqués à Dieppe, prendre l'aérodrome de Saint-Aubin-sur-Scie avant d'attaquer le quartier général allemand à Arques-la-Bataille en détruisant au passage la batterie Hitler composée de quatre canons de 150. Le débarquement à Dieppe fut confié à deux bataillons de la 4th Canadian Infantry Brigade sous le commandement du brigadier Sherwood Lett. Ils devaient débarquer à 5 h 20 sur la plage blanche à l'ouest du port et sur la plage rouge à l'est du port accompagné par les chars Churchill du 14th Canadian Armoured Regiment (The Calgary Regiment).

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Radar allemand Wurzburg Riese (© Wikipédia)

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Un char Churchill (Mémorial Astonia près du Havre)

Les Allemands, pour assurer la défense de Dieppe, avaient installé des barrages dans toutes les rues de la ville donnant sur la plage. Celle-ci était coupée en deux par deux barrières de fils barbelés. Le "casino", situé à droite de la plage, avait été transformé en forteresse et de nombreuses mitrailleuses et canons antiaériens (Flak) étaient installés le long de l'esplanade séparant la plage de la ville et sur les promontoires surplombant la plage. Huit canons de 75 avaient été installés sur les promontoires ainsi que deux batteries lourdes de Flak de la Luftwaffe. Une unité de marine équipé de huit canons antichars de 37 était également affectée à la ville. L'ensemble de la défense, commandé par l'Oberstleutnant Hermann Bartelt, comptait 1500 hommes du 571e Infanterie Regiment de la 302e Infanterie Division. Bartelt avait installé son quartier général au château de Dieppe. En renfort se trouvait, à Amiens, la 10e Panzerdivision et, à Vernon, la SS Brigade Leibstandarte Adolf Hitler.

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Stéle commémorative sur la plage de Sainte-Marguerite

Dans la nuit du 18 au 19 août 1942, treize groupes de bateaux prirent le départ des ports de Southampton, Portsmouth, Gosport, Shorcham et New Haven. Il s'agissait de Landing Craft Assault (LCA) pour le transport de troupes, de Landing Craft Mechanized (LCM) pour le transport de véhicules, de Landing Craft Tank (LCT) pour le transport de char et de nombreuses petites embarcations escortés par huit destroyers. En tout, 237 bateaux partirent en direction de Dieppe. À 3 h 47, la flottille à destination des plages jaunes se heurta à un convoi allemand composé de cinq petits navires côtiers escortés par trois vaisseaux de combats. Les navires allemands ouvrirent le feu sur la vedette d'assaut SGB5 qui transportait le chef de la flottille, le commandant Wyburg, qui décida de sacrifier le SGB5 en ordonnant aux autres navires de poursuivre leur route. Le SGB5, le ML341 et le LCF1 engagèrent le combat avec les Allemands. Ils réussirent à couler un bâtiment allemand et à en endommager gravement un autre. Mais la flottille se trouva totalement dispersée. Sur les 19 navires au départ, quatre furent obligés de retourner en Angleterre, trois restèrent au côté du LCF1, cinq au côté du SGB5 et sept avaient disparu. Le commandant Wyburg estimant que la mission ne pouvait plus être réalisée fit faire demi-tour à la flottille. Cependant, les sept bateaux disparus, privé de radio, poursuivirent en direction des plages jaunes. Six bateaux sous les ordres du lieutenant Alexander Feur se dirigèrent vers la plage jaune 1 où 120 hommes et les Rangers américains débarquèrent à 5 h 15. Ils furent immédiatement cloués sur la plage par les mitrailleuses allemandes. Le septième bateau, commandé par le capitaine Peter Young et le lieutenant Henry Buckée, se dirigea vers la plage jaune 2 où débarquèrent, à 4 h 45, dix-sept hommes et trois officiers. Ils ne rencontrèrent pas de résistance sur la plage, mais ne pouvant traverser les lignes de fils barbelés, ils durent escalader la falaise. Ils s'engagèrent dans la gorge du "Val au Prêtre" et attaquèrent la batterie Goebbels que leur action neutralisa pendant deux heures. Durant l'attaque, le lieutenant Edward V. Loustalot fut tué. Il fut le premier soldat américain tombé en Europe.

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Stéle commémorative sur la plage de Dieppe

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Stéle commémorative sur la plage de Dieppe

À 4 h 50, le commando n° 4 débarqua sur la plage orange et les Canadiens de la South Saskatchewan Regiment débarquèrent sur la plage verte. Un groupe devait débarquer à l'est de l'embouchure de la rivière Scie et un autre à l'ouest. Dans la nuit, les navires de débarquement manquèrent leur objectif et tout le monde débarqua à l'ouest de la rivière. Bien qu'ayant pris Pourville, les Canadiens ne purent traverser la rivière bloquée par le feu allemand. À 5 h 06 le Royal Regiment of Canada débarqua avec 16 minutes de retard sur la plage bleue. Ils se trouvèrent piégés sur la plage par les mitrailleuses allemandes qui fauchèrent les Canadiens dès leur sortie des navires de débarquement. À 5 h 23, l'Essex Scottish Regiment et le Royal Hamilton Light Infantry débarquèrent sur les plages blanche et rouge à Dieppe. Eux aussi furent bloqués sur la plage par les mitrailleuses allemandes. A 5 h 33 furent débarquées sur les plages blanche et rouge, 28 chars Churchill. Durant l'opération, tous les LCT furent endommagés ou détruits par les canons allemands. Des chars, seul neuf d'entre eux parvinrent à quitter la plage. Mais ils furent bloqués par les barrages que les Allemands avaient installés dans les rues de Dieppe.

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Stéle commémorative sur la plage de Dieppe

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Stéle commémorative sous le château de Dieppe

À 5 h 43, un obus de mortier, tiré par le commando n° 4, fit exploser le stock de munitions de la batterie Hess la mettant hors de combat. Le Queen's Own Cameron Highlander of Canada débarqua sur la plage verte à 5 h 50. Son commandant fut le premier tué. L'infanterie soutenue par les chars parvint à se dégager des plages blanche et rouge à 6 h 15. Les hommes prirent le casino et atteignirent les premières maisons de Dieppe. Le capitaine Hill et ses hommes atteignirent le centre, mais furent rapidement repoussés par les Allemands. Le Sergent Hickson et ses 18 hommes qui avaient pour mission la destruction du central téléphonique attaquèrent au corps à corps un point d'appui allemand. À 6 h 30, le commando n° 4 se rendit maitre de la batterie Hess. Après avoir détruit les canons, ils entamèrent leur repli vers la plage. Ce fut le seul objectif atteint lors de ce raid.

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Stéle commémorative sur la plage de Dieppe

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Stéle commémorative sur la plage de Dieppe

Le major général Roberts, en charge du commandement du débarquement, ne recevant que des renseignements fragmentaires et inexacts, vu que tous les moyens de transmission des hommes à terre étaient hors service, envoya, à 7 h 04, les troupes de réserve vers la plage rouge. Six cents hommes du Fusilliers Mont-Royal débarquèrent pour se faire décimer par les mitrailleuses allemandes. Le sergent-major Lucien Dumois et quelques hommes parvinrent jusqu'à la ville avant d'être refoulés vers le casino. À 8 h 30, le major général Roberts envoya le Royal Marine A commando sous les ordres du lieutenant-colonel Picton-Philips vers la plage blanche. Le lieutenant-colonel Picton-Philips en découvrant le spectacle sur la plage comprit le désastre et ordonna le repli avant de se faire tuer par un tir allemand. Six péniches de débarquement reçurent l'ordre de repli, mais deux continuèrent vers la plage. En même temps les survivants du Royal Regiment of Canada, coincé sur la plage blanche, se rendirent aux Allemands. À 8 h 45, les Queen's Own Cameron Highlander of Canada du major Law, débarqué sur la plage verte, furent bloqué à Petit-Appeville où ils devaient être rejoint par les chars débarqués à Dieppe.

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Monument commémoratif canadien sur la plage de Puys

Les bombardiers allemands arrivèrent sur la zone à 9 h. À 9 h 15 le major général Roberts admit l'échec de l'opération. Sauf la destruction de la batterie Hess, aucun objectif n'a été atteint. Il prépara l'évacuation des troupes pour 11 h, nom de code Vanquish. À 9 h 30, les Queen's Own Cameron Highlander of Canada stoppèrent leur avancée vers Saint-Aubin-sur-Scie. Les survivants des plages jaunes se rendirent à 9 h 45. La RAF perdit la maitrise du ciel à 10 h. La Luftwaffe put alors bombarder les navires de la flottille. Sous la protection des canons des destroyers, les péniches de débarquement se présentèrent à 10 h 45 devant les plages pour y recueillir les survivants. La marée étant basse ceux-ci durent traverser toute la largeur de la plage sans aucune protection. Les pertes en hommes et en navires furent très élevées. À 12 h 40, le destroyer HMS Calpe, avec à son bord le major général Roberts et le contre-amiral Hughes-Hallett, se rapprocha des côtes pour une inspection. En constatant l'absence de mouvement, il repartit en direction de l'Angleterre. Les derniers survivants du Royal Regiment of Canada qui, sous le commandement du colonel Catto, avaient réussi à quitter la plage blanche se rendirent aux Allemands à 16 h 30.

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Le cimetière canadien de Dieppe

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Chapelle du cimetière canadien de Dieppe

Les Canadiens déplorèrent 3367 pertes, dont 56 officiers, 908 soldats et 13 pilotes tués. Ils eurent 1946 prisonniers et 13 avions détruits. Les Britanniques déplorèrent 825 pertes, dont 62 pilotes tués. Ils eurent 106 avions détruits. La Royal Navy eut 550 pertes et les commandos eurent 270 pertes. Les rangers américains eurent trois tués. Sur les 6153 hommes engagés, seulement 2078 retournèrent en Angleterre, dont 850 qui n'avaient pas même débarqué. Les Allemands eurent 314 tués, 286 blessés et 11 disparus. Deux bateaux allemands furent coulés, six canons et 48 avions furent détruits.

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Le cimetière canadien de Dieppe

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Après la bataille, le chef du gouvernement français Pierre Laval félicita le maire de Dieppe pour le comportement passif de la population. Le général Carl Heinrich von Stulpnagel, commandant en chef des troupes d'occupation en France, mit, de manière tout à fait exceptionnelle, à la disposition de la ville, la somme de 10 millions de francs pour rembourser les dommages de guerre. En reconnaissance de l'attitude de la population civile, Hitler ordonna la libération des prisonniers de guerre français originaire de Dieppe, de Neuville-les-Dieppe, d’Hautot-sur-Mer, de Pourville, de Petit-Appeville et d'Arques-la-Bataille. Ce furent 1581 prisonniers des stalags allemands qui rentrèrent dans leur foyer.

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Ces photographies ont été réalisées en juillet 2018.

 

Y ACCÉDER:

Les soldats tombés lors du raid sur Dieppe furent inhumés au cimetière canadien de Dieppe. Son accès est fléché depuis le rond-point des Vertus à la sortie de Dieppe sur la D915 en direction des Grandes-Ventes et l'accès N° 10 de l'autoroute A28.

De nombreux monuments commémoratifs sont implantés le long des plages de Dieppe, du Puys, de Varengeville-sur-Mer et de Pourville.

 

Les indications pour accéder à ce lieu insolite sont donnés sans garantie. Elles correspondent au chemin emprunté lors de la réalisation des photographies. Elles peuvent ne plus être d'actualité. L'accès au lieu se fait sous votre seule responsabilité.

Si vous constatez des modifications ou des erreurs, n'hésitez pas à m'en faire part.

 

 

Cette page a été mise en ligne le 20 octobre 2018

Cette page a été mise à jour le 13 avril 2019