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Le Judenhut

Le Grand Ballon, plus haut sommet des Vosges (1424 m), n'a pas intéressé l'état-major allemand. Occupée par les troupes françaises (général Bataille) dès le début de la guerre (8 août 1914), aucune opération d'envergure n'est venue troubler ces lieux. Les combats se sont concentrés au Hartmannswillerkopf et au Sudel au sud du Grand Ballon et au Reichsackerkopf, au Hilsenfirst et au Linge au nord du massif.

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Vestige d'une casemate française au Judenhut

La ferme du Haag, situé légèrement en dessous du Grand Ballon (versant nord), fut une des plaques tournantes du ravitaillement des troupes françaises. La ferme du Haag se situe sur la voie la plus directe entre la vallée de St-Amarin (base arrière de l'armée française) et les sommets vosgiens donnant accès aux vallées de la Lauch et de la Fecht. Tous les régiments engagés dans la bataille de Metzeral (début 1915) ou au Sudelkopf sont passés par cet endroit. Dans le secteur, la première ligne française passait légèrement en contrebas du sommet du Judenkopf à l'est du Grand Ballon. La première ligne en provenance du Sudelkopf passait à l'est du Judenhut, contournait le lac du Ballon (qui était dans le no man's land), passait à l'est du Breitfirst et du Langenfeldkopf pour rejoindre le Hilsenfirst. La première ligne allemande suivait cette ligne, mais largement en contrebas. Au niveau du Judenhut (1235 m d'altitude), elle passait à l'est du col du Judenhut (970 m d'altitude) soit à plus d'un kilomètre à vol d'oiseau.

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Abri français près de la ferme du Haag

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Entrée de galerie française à la ferme du Haag

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Dans cette galerie

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Une des chambres de cette galerie

Les Français sont installés au Judenhut depuis au moins le 28 janvier 1915 où le "journal de marche et des opérations" (JMO) de la VIIe Armée signale : "Une patrouille de skieurs ennemis a été vue aux abords du Judenhut vers 10 heures". Le 30 janvier 1915 est signalé : "Sur le front de la 115e brigade, activité des skieurs allemands, dont une patrouille a été vue sur le Kahlenwassen ; le poste de Judenhut en a repoussé une ; et un homme venant de Buhl a été reçu à coup de fusil à Belchenhutte. Un skieur allemand (du corps N° 1) a été tué à coup de mousqueton par nos artilleurs". Le capitaine Manhès, qui s'illustra en juin 1915 au Hilsenfirst, occupa avec les hommes du 13e BCA (bataillon de chasseurs alpins) la position du Judenhut du 4 mai au 2 juin 1915. Sa description de la position fait état de l'absence de réseaux de fils barbelés continus et que de l'existence de quelques ébauches de tranchées séparées par des centaines de mètres. La position, connue des Allemands, a droit chaque jour à quelques tirs d'artillerie de leur part. Durant son séjour au Judenhut, le capitaine Manhès exécuta lui-même plusieurs patrouilles de reconnaissance des lignes allemandes où il se permettait quelques escarmouches avec la première ligne allemande. Le 28e BCA fera un séjour dans ce secteur calme du 6 mai au 23 juillet 1916. Ces hommes y construisent ou aménagent (?) un abri souterrain auquel fut donné le nom de Saint-Hillier. J'ai retrouvé dans cet abri (en cours d'effondrement) une partie d'une stèle qui visiblement était fixée à l'entrée de cette cagna. La stèle est actuellement entreposée au musée Serret à St-Amarin.

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La stèle du sous-lieutenant de Saint-Hilier

Cette stèle est une plaque en béton. Il n'en subsiste que la partie gauche qui a une longueur de 51 cm et une hauteur de 53,7 cm. Elle porte en partie centrale le clairon, symbole des bataillons de chasseurs, avec le chiffre 28. Au-dessus est inscrit "Sape de ST-H.." et en dessous "Sous-lieut Mort le 2…". Ces éléments m'ont permis, avec l'aide de Monsieur Éric Mansuy et le musée des Troupes de montagne du 27e BIM, d'identifier le sous-lieutenant François Joseph Amédée de Saint-Hillier de la 4e compagnie du 28e BCA. Il est né le 20 novembre 1892 à Roeux dans le Pas-de-Calais. Il fut blessé le 27 (ou le 29 ?) mai 1915 dans l'attaque de la côte 955 lors de la bataille de Metzeral. Il fut brancardé du champ de bataille à Kruth (7 heures de trajet) avec la cuisse fracassée. Il fut ensuite transféré à l'hôpital des Sources à Bussang où il décède le 1er juin 1915. Sa mère, arrivée trop tard à son chevet, n'a eu que le temps de suivre la procession funéraire. Il fut d'abord inhumé dans la 3e tombe de la ligne des officiers du carré militaire du cimetière du Bussang avant d'être transféré à Épinal. Il fut exhumé le 22 juin 1922 pour être inhumé à Bressolles dans l'Allier. Il est chevalier de la Légion d'honneur et reçu la Croix de Guerre.

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L'entrée de la sape du sous-lieutenant de Saint-Hillier

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L'entrée de la sape

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La sape

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De nombreux débris (poêle, queue de cochon et semelles de chaussure) sont encore présent dans cette sape

En mai 1915, le 28e BCA participe à la bataille de Metzeral et plus précisément aux combats pour la maitrise du Schnepfenriedkopf. La côte 955 ou Anlasswasen est situé sur le versant nord du Schnepfenriedkopf face à Metzeral. La journée du 27 mai 1915 est décrite dans le JMO (journal de marche et des opérations) de la 6e brigade. L'attaque débute à 5 h par le pilonnage des lignes allemandes par l'artillerie. À 7 h les troupes prennent position dans les parallèles de départ. Elles s'élancent à 8 h 50. La 2e compagnie progresse immédiatement de 150 m à la côte 955, la 3e compagnie la suit et couvre la clairière d'Anlasswasen. Les Allemands déclenchent immédiatement un violent tir de barrage entre les côtes 1025 et 955. La 7e et la 10e compagnie du 68e BCA débouchent et gagnent péniblement la droite et la gauche du 28e BCA. La 1re et la 5e compagnie du 28e BCA suivent, mais ne peuvent que renforcer la ligne tenue par leurs camarades. La 6e compagnie du 28e BCA attaque à l'Anlasswasen, mais est arrêtée par une mitrailleuse à la pointe sud de la clairière. Les Français finissent par se rendre maitres de la côte 955. L'ordre est alors donné de s'établir défensivement sur le terrain conquis. À 18 h 30, les Allemands entament un pilonnage d'artillerie des positions françaises qui cesse à 21 h. Il est immédiatement suivi par deux contre-attaques que les Français repoussent avec énergie. Les contre-attaques allemandes se poursuivent sans plus de succès jusqu'à 2 h 45.

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Tôles subsistant au Judenhut

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Abris au Judenhut

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Cette attaque a fait dans les rangs français 106 tués dont 2 officiers et 251 blessés dont 4 officiers parmi lesquels se trouve le sous-lieutenant de Saint-Hillier. Le brouillard qui recouvre la région empêche toute nouvelle action le 28 mai 1915. Le 29 mai à 0 h et à 2 h a lieu une violente fusillade à la côte 955. À l'aube du 29 mai débute un lent bombardement par des obus de gros calibre. À 10 h 30 les Allemands attaquent sur les fronts est et ouest de la côte 955. Repoussée, une nouvelle attaque est effectuée à 12 h. Après un fléchissement les Français rétablissent la situation à partir de 13 h. Le bombardement cesse à 15 h. Les contre-attaques allemandes du 29 mai 1915 feront encore 40 tués et 46 blessés. Edmond Lajoux parle du sous-lieutenant de Saint-Hillier dans son livre "Les chasseurs à pied" dans ces termes : "Un autre jeune sous-lieutenant de 21 ans, le sous-lieutenant de Saint-Hillier, trouva lui aussi une mort héroïque au cours de cette dure journée du 27 mai en se portant résolument à la tête de sa section à l'assaut du bois sous un feu terrible".

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Entrée d'une autre sape

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Vestiges des lignes françaises au Judenhut

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Alors que les Français occupaient le sommet du Judenhut, les Allemands installèrent leurs premières lignes au col du Judenhut sur le versant est à presque un kilomètre en contrebas. Un plan de février 1917 montre une position fortement fortifiée. La tranchée de 1re ligne était précédée de plusieurs lignes de barbelés de plus de 8 m de largeur doublés sur l'avant d'une deuxième ligne un peu moins large. Entre les deux lignes de barbelés était implanté de nombreux abris souterrain en 1re ligne ou le long des boyaux de liaison avec les tranchées de 2e et de 3e lignes. Sur l'arrière de la position apparaissent les cuisines et cantines, un cimetière, des dépôts, un abri sanitaire avec médecin et même un endroit dénommé "Bad" (baignoire) montrant ainsi que les soldats allemands bénéficiaient, même à proximité du front, d'un certain confort. En février 1917, la position était occupée par la 2 Landwehr Pionnier Kompagnie 14.

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L'ancien poste de commandement a été utilisé comme fondation pour un abri pour les randonneurs.

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Le poste de commandement allemand était nommé "Villa Rheinland".

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La fontaine Schlumberger

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Cette fontaine fut reconstruite en février/mars 1918 par les Wasserbau Kompagnie (la compagnie des fontaines).

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Entrée d'un abri allemand

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Un autre abri allemand

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Cet abri porte une plaque mentionnant "Erbaut von : 2 LDW. PION. KP14 und LDST. INF. BTL. TORGAU"

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L'intérieur de cet abri

Il subsiste peu de choses de cette position à l'heure actuelle. Quelques entrées bétonnées d'abris et un bunker près de la fontaine Schlumberger. Le cheminement des tranchées est encore reconnaissable, mais les abris souterrains se sont effondrés et le cimetière a été transféré.

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Autre abri allemand au Lieserwasen

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Abri allemand près du rocher St-Pirmin

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Abri creusé dans la roche près du rocher de St Pirmin

Ces photographies ont été réalisées en août 2015 et en mai 2016.

 

Y ACCÉDER:

Les vestiges du Judenhut sont regroupés sur le versant ouest du sommet du Judenhut. Prendre le chemin partant en face de la ferme du Haag (au-delà de la route des crêtes). Poursuivre sur ce chemin jusqu'au virage en épingle à cheveux sur la gauche. À cet endroit part, sur la droite, un sentier montant en direction de la ferme du Ballon. Les vestiges sont situés sur la gauche de ce sentier au niveau du point culminant du sentier.

D'autres abris français sont taillés dans la roche au niveau du versant ouest du Grand Ballon. Prendre à la ferme du Haag le sentier (balisage croix jaune) menant au Sattelfels. Les abris sont à environ 500 m de la ferme du Haag.

Les vestiges allemands sont situés au col de Judenhut sur le versant est du Judenhut. Le col est accessible à pied depuis le Judenhut en suivant le balisage du Club Vosgien. Vous pouvez également passer par Rimbach-près-Guebwiller. Depuis le village, prendre le chemin goudronné vers la Glashutte. Au quatrième embranchement, prendre à droite et se garer lorsque le chemin devient interdit à la circulation. Suivre, à cet endroit, le chemin de gauche qui mène au col de Judenhut.

Les indications pour accéder à ce lieu insolite sont donnés sans garantie. Elles correspondent au chemin emprunté lors de la réalisation des photographies. Elles peuvent ne plus être d'actualité. L'accès au lieu se fait sous votre seule responsabilité.

Si vous constatez des modifications ou des erreurs, n'hésitez pas à m'en faire part.

 

 

Cette page a été mise en ligne le 12 mars 2016

Cette page a été mise à jour le 8 janvier 2017