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Les deux abris sous roche
Dans ces abris sous roche vivait le plus vieil alsacien connu. Le site présente un intérêt archéologique important pour le sud de l'Alsace puisque la stratigraphie est une des seules allant de l'épipaléolithique à l'époque romaine.
Le site a fait l'objet d'une fouille superficielle par le docteur Thiessing en 1876. Les fouilles effectuées entre 1971 et 1982 par Jean Sainty et André Thévenin sur une surface de 30 m² ont relevé une stratigraphie de près de 8 mètres sans atteindre le substratum rocheux. Le site se compose de deux cavités distantes d'une quinzaine de mètres. Elles se sont formées dans une couche de calcaire de l'Oxfordien moyen. L'abri du Mannlefelsen II a livré des vestiges d'outils en silex et des ossements d'animaux (canine d'ours, dent de rhinocéros) datés du début de la dernière glaciation soit environ 60 000 ans av. J.-C.. Dans l'abri du Mannlefelsen I ont été mis à jour des niveaux d'occupations humaines datés de -10 000 ans jusqu'à la 2e Guerre mondiale. Les niveaux les plus importants sont ceux de campements de chasseurs-cueilleurs nomades allant de 10 000 à 5500 ans av. J.-C.. Un abondant outillage lithique en silex (près de 4 000 pièces) et plusieurs structures en arc de cercle (trous de poteaux, foyers) pouvant correspondre à l'implantation de tentes ont été mis à jour. Un des niveaux a livré, à une profondeur de 4,70 m, une sépulture datée de 7000 ans av. J.-C.. Cette sépulture était uniquement constituée d'un crâne (probablement masculin) déposé sur un lit de petits blocs de calcaire.
Les occupants de l'âge du bronze (1000 ans av. J.-C.) avaient construit un rempart défensif à l'aide de gros blocs de calcaire. Ces blocs ne sont plus visibles de nos jours. Les occupants de l'époque romaine s'étaient certainement attelés à la fabrication de fausses monnaies comme le suggèrent les vestiges retrouvés. À la fin des fouilles, le site a été remblayé pour des raisons de sécurité et seuls les porches des abris sous roche sont actuellement visibles.
Une campagne de sondage initié par les archéologues Christian Jeunesse et Jean Sainty au sein de sept abris sous roche entre Biedethal et Lutter permit, en 1983, la découverte de l'abri sous roche Saint-Joseph à Lutter. Ce site connut sept campagnes de fouille entre 2005 et 2011 par une équipe d'archéologues franco-suisse sous la direction de Rose-Marie Arbogast du CNRS. L'abri est implanté à l'intersection d'une petite vallée et d'un couloir naturel au niveau d'un goulot d'étranglement traversé par le ruisseau du Lutterbach. L'abri est situé au pied d'une falaise calcaire du Rauracien à une quinzaine de mètres du ruisseau. Les animaux au cours de leurs déplacements étant contraints d'emprunter le goulot d'étranglement, le site présente une topographie propice aux chasseurs. À la découverte, il s'agissait d'un abri peu étendu et assez bas, mais les fouilles, réalisées en suivant l’infléchissement de la paroi, relevèrent un abri relativement vaste, mais quasiment comblé.
L'abri sous roche Saint-Joseph (état en 2007)
L'abri sous roche Saint-Joseph (état en 2007)
Les fouilles mirent en évidence une stratigraphie constituée de 10 couches (2,10 m d'épaisseur) datées de 9500 av. J.-C. (mésolithique ancien) à 50 apr. J.-C. (période romaine). Le mésolithique ancien et moyen ou 1er mésolithique est représenté dans les couches 10, 9, 8 et 7. Le mésolithique récent ou 2e mésolithique est représenté dans les couches 7 à 4. Les couches 3 et 1 concernent le néolithique et la couche 2 la période romaine. Durant les fouilles, 9087 éléments lithiques furent récoltés. Parmi ces éléments, 3693 ne sont que des débris de taille. Les autres éléments sont très petits, car ils ont en moyenne entre 30 et 50 mm de longueur et entre 15 et 50 mm de largeur. Les crues du ruisseau ont perturbé les couches 5 et 6. La couche 10 est constituée d'un cailloutis stérile d'artefacts archéologiques. La couche 9, qui ne fut fouillée que sur une surface de 0,75 m², livra un très riche mobilier lithique (1545 pièces, dont 25 microlithes) et faunique (2000 pièces). La datation C14 des éléments faunique de cette couche donna une fourchette comprise entre 8610 et 7180 av. J.-C.. La couche 8 livra 209 pièces lithiques avec 65 % de débris. Cette couche fut datée par C14 entre 7930 et 7140 av. J.-C.. Les couches 7 et 6 livrèrent 765 pièces lithiques avec 71 % de débris et d'esquilles. Dans la couche 5 furent mis au jour 2500 pièces lithiques (65 % de débris) dont une dizaine d'armatures de flèche, 78 restes de faune et une centaine de tessons de très petite taille. La datation C14 de cette couche donna une fourchette entre 5700 et 4850 av. J.-C.. La couche 4 livra 1500 pièces lithiques, dont une dizaine d'armatures de flèche, des restes de faunes sauvages et 250 tessons de très petites tailles. Ces tessons provenaient probablement de trois vases décorés et d'un vase non décoré de la culture de Grossgartach. Deux petites perles cylindriques en calcaire, un fragment de perle discoïde en test de coquillage et trois perles plates ovalaires en nacre furent également trouvés. La datation C14 de cette couche donna une fourchette entre 5020 et 4220 av. J.-C.. Dans la couche 3, d'une épaisseur de 45 cm, furent trouvé, entre autres éléments, quatre grandes armatures de flèches losangiques, une grosse perle en bois de cerf et quelques tessons datés du bronze final (1100 à 950 av. J.-C.). La datation C14 de cette couche donna une fourchette entre 4200 et 2600 av. J.-C.. Dans la couche 2 furent récoltés 1200 tessons de poterie et une centaine de restes d'animaux domestiques. Cette couche, qui correspondrait à un remplissage lié à un glissement de terrain, fut datée du milieu du 1er siècle apr. J.-C.. Des recherches effectuées sur le versant au-dessus de l'abri ne mirent en évidence aucun vestige archéologique.
L'abri sous roche Saint-Joseph (état en 2007)
L'abri sous roche Saint-Joseph (état en 2007)
Dans l'éboulis de la pente, en avant de l'abri, fut découvert lors d'un sondage géologique un poignard en bronze de 7,20 cm de longueur et de 2,40 cm de largeur. Il fut daté entre 1700 et 1300 av. J.-C. et proviendrait soit d'une sépulture détruite, soit d'un dépôt métallique. À la jonction entre les couches 3 et 4 furent découverts 54 os humains. Ces ossements, avec une surreprésentation d'os crânien, mais avec une sous-représentation de dents (seulement 4), correspondent à un minimum de trois individus, deux jeunes et un adulte. Ces ossements furent datés du 1er quart du IVe millénaire. La moitié de ces os a subi l'action du feu et un fragment de fémur présente des marques d'incisions correspondant à des marques de découpe. D'autres marques de découpe furent identifiées sur un fragment de crâne d'enfant. Aurions-nous ici une marque de cannibalisme ?
L'abri sous roche Saint-Joseph (état en 2024)
L'abri sous roche Saint-Joseph (état en 2024)
Les analyses des fouilles ont permis de déterminer que durant la période entre 8600 et 7350 av. J.-C. l'abri était régulièrement occupé. Entre 7350 et 5500 av. J.-C., cette occupation n'était que sporadique. Elle devint de nouveau régulière entre 5500 et 4200 av. J.-C.. Cette occupation était soit le fait d'un groupe indigène soit une alternance de groupe indigène et groupe danubiens. Entre 4200 et 2600 av. J.-C., l'abri servit de manière sporadique, probablement comme camp de chasse.
L'oratoire de Saint-Joseph
Une nouvelle campagne de prospection orientée sur la recherche d'occupation paléolithique et mésolithique organisée par les équipes de Rose-Marie Arbogast conduisit à la découverte, en 2006, de l'abri Blenien à Wolschwiller. Il fut découvert par des remontées de pièces lithiques au sein de terriers de blaireaux. Comme l'abri Saint-Joseph, il se trouve au niveau d'un goulet d’étranglement sur le vallon du ruisseau Limenderbach. L'abri d'une superficie d'environ 50 m² était largement comblé. Il est cependant soupçonné la présence d'un réseau karstique en prolongement de cet abri sous roche. En 2012 fut effectuée, sous la direction de Héloïse Koehler, une fouille test. Les résultats de ce test conduisirent, à partir de 2013, à des fouilles programmées sous la direction de Sylvain Griselin. Ces fouilles sont toujours en cours.
L'abri sous roche Blenien (état en 2015)
L'abri sous roche Blenien (état en 2015)
La fouille test, réalisée par une tranchée, releva un niveau archéologique très riche en industrie lithique, en restes fauniques et en éléments chauffés avec peut-être une ou plusieurs zones de combustion (foyer). La stratigraphie mise au jour comprend cinq couches. Les couches 4 et 5, les plus profondes, correspondent à un important remplissage de presque 2 m d'épaisseur allant quasiment jusqu'au niveau du ruisseau actuel. Ces couches (résultat des fouilles non communiqué pour l'instant pour les communs des mortels) laissent présager une stratigraphie pour une période ancienne du paléolithique. Un os de cervidé provenant de la couche 4 a été daté par C14 entre 15000 et 14000 av. J.-C.. La couche 3, située à l'avant de l'abri sur environ 20 m² et épaisse de 1,30 m, releva 559 pièces lithiques (32 outils) et 1 131 restes de faune. Ces restes fauniques, témoignant d'un environnement ouvert et froid, correspondent à du renne, du bouquetin, du renard, de la belette, du lièvre et de sousliks ou spermophiles, un rongeur des steppes apparenté à l’écureuil. Les restes de sousliks sont majoritaires, mais ils ne représentent qu'une petite part de l'apport en viande pour les chasseurs occupant le site. La datation C14 de cette couche est de 9782 ± 81 av. J.-C.. La couche 2, située au fond de la cavité, livra 369 pièces lithiques (30 outils) et 495 restes de faune. Celle-ci se compose de renne, cerf, sanglier, bouquetin, chamois, renard et une majorité de lièvres. L'industrie lithique de cette couche est homogène du point de vue typologique et comprend des lamelles à dos obtenu à l'aide d'un percuteur en pierre. La datation C14 de cette couche est de 10452 ± 86 av. J.-C., correspondant au magdalénien supérieur. La couche 1, située sous le porche, a livré de l'industrie lithique de lamelles et 86 restes fauniques comprenant du cerf, du chevreuil, du sanglier et majoritairement du lièvre. Des éléments chauffés (pierre et charbon) furent également recueillis. La datation C14 de cette couche est de 9279 ± 77 av. J.-C., correspondant à l'Azilien. En tout plus de 9000 restes osseux et plus de 5000 éclats de taille de silex ont été recueillis. Ont également été recueillies des dents d'animaux sciées certainement en provenance d'éléments de parure et une aiguille à chas en os. Le site correspond à une halte de chasse pour des chasseurs quadrillant une zone de 5 à 6 km² avant leur retour vers leur camp de base qui devait se situer à une dizaine de kilomètres de là. Les éclats de silex permettent de dire qu'il y avait à cet endroit un atelier de taille destiné au réaffutage des outils et à la réparation des sagaies utilisées pour la chasse (l'arc n'était pas encore utilisé à l'époque). Il reste aux chercheurs à déterminer si le gros gibier était découpé sur le site ou si les carcasses étaient ramenées entières au camp de base.
L'abri sous roche Blenien (état en 2024)
L'abri sous roche Blenien (état en 2024)
Le site de Blenien est le seul site en Alsace, avec le site de plein air découvert à l'emplacement du magasin Ikéa de Morschwiller-le-Bas, pour la période du Magdalénien. En 2013 furent découverts des ossements humains en position remaniée. Ils furent datés du néolithique moyen et correspondraient donc probablement à une sépulture réutilisant l'abri. L'artefact le plus remarquable fut mis à jour en 2013 au fond de la cavité. Un bloc cubique de 114 mm de longueur, de 117 mm de largeur et de 66 mm d'épaisseur releva, sur une de ces faces relativement plane, des gravures. La figure principale représente, au sein de nombreuses lignes, un bovidé tourné vers la gauche avec peu de détail anatomique. Cette représentation, centrée sur la pierre, se limite à un protomé avec une tête de forme tronconique avec un museau arrondi, une ligne de poitrail et le départ de la ligne de dos. Six tracés perpendiculaires à la forme générale et bien limité à l'intérieur de la tête complètent cette figure. Cette figure correspond au style d'art paléolithique de la fin du paléolithique supérieur. L'analyse de l'emplacement du bloc lors de sa découverte permet d'affirmer que la gravure fut réalisée in situ et, en l'absence de tracés sur la paroi de l'abri, qu'il s'agit bien d'art mobilier. Il s'agit du premier exemplaire d'art paléolithique découvert en Alsace.
L'abri sous roche Blenien (état en 2024)
L'abri sous roche Blenien (état en 2024)
L'abri sous roche Blenien (état en 2024)
L'abri sous roche Blenien (état en 2024)
Sources consultées pour cet article :
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Site internet Wikipédia
La consommation du souslik par
les chasseurs du Magdalénien à l’abri Blénien (Wolschwiller, Alsace) : Premiers
résultats par Jean-Baptiste Mallye, Jehanne Affolter, Cédric Beauval, Olivier
Bignon-Lau et Ludovic Mevel - Hiatus, lacunes et absences : identifier et
interpréter les vides archéologiques, Actes du 29e Congrès
préhistorique de France, 31 mai-4 juin 2021, Toulouse, 2023. hal-04177509.
Découverte d’un bloc gravé dans la grotte de Blenien à Wolschwiller (Haut-Rhin, France) par Sylvain GRISELIN,
Elena MAN-ESTIER, et Héloïse KOEHLER dans Actes du colloque international Les
Eyzies-de-Tayac, 16-20 juin 2014 - PALEO, numéro spécial, 2016, p. 547 à 551.
LUTTER «Abri Saint-Joseph» (Haut-Rhin), Rapport de fouille programmée 2011 par Rose-Marie Arbogast avec la
collaboration d'Anthony Denaire, de Thomas Doppler, de Stefanie Jacomet, de
Christian Jeunesse, de Michel Mauvilly et de Jörg Schibler. - Service régional de l’Archéologie d’Alsace.
Les niveaux mésolithiques de l'abri Saint-Joseph de Lutter (Haut-Rhin, France). Étude préliminaire des
industries lithiques par Rose-Marie Arbogast, Michel Mauvilly, Christian Jeunesse. - Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2018, p. 155-178
(Annales Littéraires, 983 ; Série «Environnement, sociétés et archéologie»).
L'abri Saint-Joseph à Lutter : 9 000 ans d'histoire du Jura alsacien par Christian Jeunesse, Rose-Marie
Arbogast, Anthony Denaire, Thomas Doppler, Stefanie Jacomet, Michel Mauvilly et
Jorg Schibler – Annuaire de La Société d'Histoire du Sundgau 2014.
Ces photographies ont été réalisées entre 2001 et 2024
Y ACCÉDER:
A Oberlarg, laissez la voiture à proximité de l'église et prenez le chemin à gauche de l'église, puis celui de droite à l'embranchement en "Y". Traversez le gué ( petit pont pour les piétons ). Les abris sous roche sont visibles, une cinquantaine de mètres plus loin sur votre gauche. Les abris sous roche sont sur une propriété privée clôturée, mais parfaitement visible du chemin. En continuant le long du chemin, vous arriverez à la source de la Largue.
L'abri Saint-Joseph se trouve à Lutter, rue de Kiffis, avant l'oratoire Saint-Joseph.
L'abri de Blenien se trouve à Wolschwiller, rue de Kiffis, avant l'étranglement du vallon et le virage à gauche que fait la route allant vers Kiffis.
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Cette page a été mise en ligne le 08 avril 2002
Cette page a été mise à jour le 14 septembre 2024