Le manoir Ango

Jehan Ango fut un des plus riches armateurs de Dieppe. Protégé par le roi François 1^er, il fut également un de ses plus importants financiers. Il se fit construire à Varengeville-sur-Mer un manoir que le roi déclara être le plus beau de Normandie.

Jehan Ango naquit en 1480 à Dieppe, le deuxième port de France à l'époque. Il parcourut les mers d'Afrique aux Indes Orientales comme officier puis comme capitaine de vaisseau sur les navires de son armateur de père. À la mort de celui-ci, il hérita de la fortune familiale et cessa ses voyages. Il agrandit sa flotte en commerçant avec Gènes et Venise. En 1524, un de ses capitaines, l'italien Verrazano, à la tête du vaisseau "La Dauphine", explora les côtes du New Jersey, du Delaware, de la Virginie et de la Caroline du Nord. Il découvrit le site de la future New York. Les vaisseaux de Jehan Ango participèrent à l'exploration des côtes du Canada, qu'il baptisa Arcadie, pour le compte du roi de France.

En 1525, Charles Quint fit prisonnier François 1^er lors de la bataille de Pavie. Jehan Ango contribua alors au payement de la rançon exigé pour la libération du roi de France. Pour le remercier, celui-ci le nomma gouverneur de Dieppe. En tant que conseiller du roi pour les affaires maritimes, il développa les ports de Rouen, de Honfleur et du Havre. Sous sa gouvernance, Dieppe devint la troisième ville de France. Il se maria à Anne Guilbert, descendante de Guillaume le Conquérant, et devint ainsi vicomte de Dieppe.

En 1525, Jehan Ango fit l'acquisition de 5000 hectares de terre à Varengeville-sur-Mer. Il y fit construire, entre 1530 et 1544, son manoir. Il reçut en 1534 dans sa maison de Dieppe, la visite de François 1^er et de la reine Claude avec toute la cour de Fontainebleau. Le roi lui rendit une nouvelle visite à Varengeville-sur-Mer en 1540. Le roi était accompagné cette fois-ci par sa favorite, Diane de Poitiers. En 1545, François 1^er, contre l'avis de Jehan Ango, se lança dans une guerre contre les Anglais. Ango y perdit, au cours d'une bataille navale franco-anglaise, la majorité de sa flotte. Après la mort de François 1^er (en 1547), Jehan Ango tomba en disgrâce et fut même emprisonné en 1549. Ango mourut en 1551 à Dieppe totalement ruiné.

Le manoir Ango fut bâti par des architectes et des artistes italiens sur les ruines d'un fortin dont les deux tours furent conservés et transformés en entrée. La tour de droite devint une chapelle privée. Depuis le sommet de la tour de gauche, Jehan Ango pouvait surveiller les entrées et les sorties de ses vaisseaux du port de Dieppe. La présence de nombreuses hêtraies plantées depuis ne permet plus aujourd'hui de vision directe sur le port de Dieppe. L'aile sud du manoir, longue de 50 m et haute de 18 m, possède une façade d'apparat qui n'est pas perpendiculaire aux autres ailes afin d'être mieux vue par les visiteurs passant le porche d'entrée. Au rez-de-chaussée se trouve une loggia (très en vogue en Italie à l'époque) dont les arcades sont décorées de médaillons représentant Éole, le dieu du vent, Ops, la déesse romaine de l'abondance, François 1^er et la reine Claude et les Médicis, le doge de Venise et le pape Jules II. Au-dessus de la loggia se trouve la salle de réception couvrant toute la longueur de l'aile sud. Cette salle est éclairée par cinq grandes fenêtres à meneaux côté cour et côté jardin. Elle est décorée de fresques d'artistes italiens du XVI^e siècle parmi lesquels figure peut-être Léonard de Vinci.

Dans l'aile est se trouvent trois pièces, dont la cuisine avec une grande cheminée. Les niches supérieures situées de part et d'autre de cette cheminée étaient les dortoirs pour les gardes d'où ils pouvaient surveiller le porche d'entrée (disparu aujourd'hui). Les petites portes basses, visibles dans cette aile, étaient les chenils des chiens de chasse. L'aile est ornée de médaillons représentant François 1^er avec la reine Éléonore de Habsbourg, Jehan Ango et son épouse et le "bon sauvage". L'aile nord avait une vocation agricole et était, jusqu'en 1976, une grange et une étable. Au centre de la cour du manoir fut érigé, en 1532, un colombier, haut de 11 m et de 22 m de diamètre. Le plus grand colombier de France à l'époque possède 1600 boulins, niches pour un couple de pigeons. Ango y élevait des pigeons voyageurs pour rester en contact avec ses vaisseaux. Le colombier fut transformé en étable après la Révolution.

À la mort de Jehan Ango, en 1551, le manoir devint la propriété de son filleul, Jacques de Banquemare. Il passa au XVII^e siècle dans les mains de Pierre de Guillebert. Incendié en 1789, il fut ensuite vendu comme bien national et devint une exploitation agricole. Laissé à l'abandon durant le XIX^e siècle, il fut pillé. Classé Monument historique en 1862, il fut successivement la propriété des familles Pewrel, d'Estonville, de Longueil, Schlumberger, Lemaitre et Charaire. André Breton y séjourna en août 1927 et y écrivit "Nadja". André Breton y accueillit Aragon, qui y écrivit son "Traité du style", Jacques Prévert, Robert Desnos et Yves Tanguy. Le manoir fut racheté en 1928 par monsieur et madame Hugot-Gratry qui entamèrent sa restauration.

L'accès au manoir est fléché depuis le centre de Varengeville-sur-Mer. La visite est payante.

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