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Le camp de concentration de Thil

Le seul camp de concentration nazi situé sur le territoire français non annexé par le IIIe Reich doit son existence au bombardement allié sur Peenemünde les 17 et 18 août 1943. Ce bombardement qui visait le centre d'essai et de production des armes de représailles (Vergeltungswaffen) V1 et V2 fit prendre conscience aux nazis de la nécessité d'enterrer les usines.

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L'emplacement du camp

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Le chemin vers la crypte

Ils se mirent donc à la recherche de mines et autres cavités susceptibles d'abriter des centres de productions. Le 28 décembre 1943, des responsables du Reichsluftfahrtministerium visitèrent les mines de fer désaffectées de Tiercelet à Thil. Cette mine présentait de nombreux avantages. Ces galeries étaient vastes (plus de 250000 m2 l'accès aux galeries se faisait horizontalement, l'humidité y était moins importante que dans les autres mines, le minerai était moins friable et l'entrée était proche du réseau ferré allemand avec la gare d'Audun-le-Tiche situé en Moselle annexé. Le Generalfeldmarschall Milch, chef de l'aviation du IIIe Reich, avait déjà procédé à une inspection des mines de Lorraine en 1942 dans le même but.

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La mine de Thil (© Wikipédia)

Lors d'une réunion du Jagerstab (aviation de chasse) le 7 mars 1944, Ferdinand Porsche, directeur de Volkswagen, confirma au Generalfeldmarschall Milch que la Wirtchaftsverwaltungshauptamt (office principal de l'administration et de l'économie SS) avait donné son accord pour l'aménagement de la mine de Thil et l'affectation de 3500 déportés du camp de concentration de Natzwiller-Struthof en Alsace. Ferdinand Porsche était intervenu auprès de Himmler pour que le chef de l'administration centrale des camps de concentration Oswald Pohl prenne en charge l'usine de Thil en tant que camp de concentration. Dans son rapport, le Dr C.N. Hickmann de la mission "Alsos" de l'US Army qui visita la mine le 23 septembre 1944, signale avoir appris des habitants de Thil que les Allemands sont arrivés en avril 1944 avec un contingent de 500 ouvriers qu'ils prétendaient être des prisonniers de guerre italiens et polonais.

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Les monuments à l'entrée du camp

D'après des témoignages de déportés consignés au "Moreshet Archive" à Givat Haviva (Israël), un premier convoi de 300 personnes en provenance d'Auschwitz arriva à Thil en mai 1944. Ils furent chargés d'ériger le camp. Un deuxième convoi de 300 personnes en provenance de Peenemünde arriva le 21 mai 1944. Un autre de 500 personnes arriva d'Auschwitz le 7 juin 1944. Ils furent chargés de la mise en place des machines-outils sous les ordres de l'Oberscharfführer SS Buttner du camp de concentration du Natzwiller-Struthof. Un autre convoi de 63 personnes arriva de Natzwiller-Struthof entre le 15 juin et le 3 juillet 1944. Le 20 juin 1944, 500 personnes arrivèrent d'Auschwitz et le 6 juillet 1944, 300 personnes arrivèrent de Fallersleben.

Ces chiffres sont hypothétiques, un décompte récent donne des chiffres plus faibles, car dans le décompte ci-dessus plusieurs groupes seraient comptabilisés plusieurs fois. Ces nouveaux travaux de décompte indiquent qu'un premier groupe de 500 déportés hongrois sera arrivé d'Auschwitz le 26 juin 1944. Un autre groupe de 300 personnes en provenance de Fallersleben serait arrivé à Thil le 6 juillet 1944 après un passage pour formation au montage des V1 à l'usine Volkswagen. Un convoi de 12 personnes en provenance de Natzwiller-Struthof arriva le 15 juin 1944 suivi d'un autre groupe de 51 personnes le 2 juillet 1944. Soit en tout 863 déportés qui seraient nommément traçables.

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La maquette du camp de Thil (© Wikipédia)

Le camp de Thil fut établi dans une étroite vallée isolée du village par le remblai de la ligne ferroviaire Villerupt/Longwy. Le camp était sous les ordres de l'Oberscharfführer SS Buttner dépendant du camp de concentration de Natzwiller-Struthof. Il était dénommé "camp de travail Erz" ou "commando extérieur Erz". Les déportés logés dans des baraques en bois qu'ils avaient assemblés eux-mêmes. Leur nourriture était constituée d'une boisson dénommée "Thé" servi au réveil et une soupe sans graisse servit midi et soir. Les corps de ceux qui mourraient étaient brulés, au début sur des fagots de sapin puis dans un four crématoire en provenance des abattoirs de Villerupt.

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Les machines-outils arrivèrent à Thil à partir de fin mai 1944 où trois convois ferroviaires en provenance de la région parisienne livrèrent des presses. Entre le 20 mai 1944 et le 19 juin 1944, sept trains livrèrent des machines-outils depuis Fallersleben. D'autres machines-outils furent réquisitionnées ou achetées auprès des usines Peugeot à Montbéliard. Le 12 juillet 1944 fut créé, sous la responsabilité de Hans Riedel, Ferdinand Porsche, Boda Lafferentz et d'Anton Piech, la société "Minette Gmbh", principale utilisatrice de l'usine souterraine de Thil. Cette usine était destinée à la fabrication des V1 et de pièces pour les avions Junkers JU88 et Focke-Wulf Ta154.

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Focke Wulf TA154 (© www.avionslegendaires.net)

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Junkers JU88 (© Bundesarchiv)

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Missile V1 (© Bundesarchiv)

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Missile V1 (© Wikipédia)

Dans un courrier du 22 juillet 1944, le Hauptmann Buckhaus, responsable de la bonne marche de la société "Minette Gmbh", se préoccupe des besoins en nourriture et en logements pour les 7000 personnes présentes sur le site lorsque l'usine sera opérationnelle le 1er août 1944. En se référant à une ordonnance de Hitler qui recommandait que le personnel civil allemand devait être logé de manière exemplaire, un responsable de la société "Minette Gmbh" demanda, le 25 juillet 1944, au Rüstungskommando de Nancy la livraison de 1000 chaises, de 3000 couvertures, de 1000 armoires et de 500 lits.

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Le 30 juillet 1944, le commandant du Rüstungskommando de Nancy informe le ministère du Reich que les demandes en matériel et objets divers nécessaires actuelles sont minimes par rapport aux besoins des 10000 personnes prévus pour le fonctionnement de l'usine dans quelques mois. Cette même société "Minette Gmbh" demanda le 2 août 1944, le raccordement de l'usine au réseau ferroviaire de la Deutsche Reichsbahn à Audun-le-Tiche

Le 19 août 1944, le Sturmbandführer Fritz Hartjenstein, commandant du camp de Natzwiller-Struthof, propose l'affectation de 1300 nouveaux déportés aux 723 déjà envoyée à Thil. Cependant, l'avance rapide des Américains contraint les nazis à évacuer l'usine et le camp. Le 1er septembre 1944 à 7h du matin, les nazis mettent en place 500 kg d'explosifs pour la destruction de la mine. Finalement, le 2 septembre 1944 ce n'est que l'entrée qui est dynamitée. Le 3 septembre 1944, les déportés juifs et ceux en provenance de Peenemünde sont exécutés sur place et les autres partent pour Buchenwald, Dora ou Holzminden où la société "Minette Gmbh" s'installe dans une mine d'asphalte. Elle y poursuivra ses activités sous le nom de code "Hecht" jusqu'au 7 avril 1945.

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Le 23 septembre 1944, le lieutenant-colonel Ranger, le colonel W.A. Beasley et le Dr C.N. Hickmann de la mission "Alsos" de l'US Army visitent l'usine de Thil. Dans son rapport le Dr Hickmann nous informe que l'usine débutait à environ 1,5 mille de l'entrée de la mine et qu'elle était constituée de longs couloirs au sol en béton, large de 5 à 6 m et haut de 4 m. Les parois avaient reçu une légère couche de peinture. Un éclairage très lumineux et une ventilation très convenable avaient été installés. S'y trouvait un grand nombre de tours, de perceuses, de presses et de postes à souder électrique. Ces derniers étaient installés dans des cabines séparant les ouvriers. Il s'y trouvait également de longues rangées de bancs d'assemblages et une bande transporteuse aérienne munie de crochet permettant le transport des pièces. La mine dont les bureaux étaient regroupés à l'entrée était desservie par une voie ferrée étroite avec des locomotives électriques alimentées par voie aérienne. À l'entrée de la mine, il s'agissait d'une voie unique, mais de nombreux couloirs avaient une double voie. Un vaste magasin avait également été aménagé. De nombreuses parties de fuselage de V1 (constitué de plaques rivetées ou soudés) et des structures de corps de fusée (nombreux éléments inachevés comme des ailerons, nez ou éléments de guidage) étaient présentes dans l'usine ou les nazis escomptaient une fabrication en grande série de V1. Dans son rapport, le Dr Hickmann parle de témoignages d'habitants de Thil rapportant que les ouvriers arrivaient à pied à l'usine à raison de 2000 personnes par tournée trois fois par jour et que pendant ce temps le travail minier se poursuivait avec un effectif de 70 mineurs.

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Soldat US examinant une machine dans l'usine de Thil (droits réservés)

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Soldat US examinant un élément de V1(droits réservés)

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Soldats US dans l'usine de Thil (droits réservés)

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Machines outils dans l'usine de Thil (droits réservés)

Après la libération par les Américains, le camp de Thil et l'usine furent laissés à l'abandon à l'exception d'une baraque qui fut déplacé sur les hauteurs de Thil pour abriter les servants d'une batterie antiaérienne américaine. Le camp fut donc pillé, démonté et rasé par les habitants de la région qui y récupèrent les éléments indispensables à leur survie dans un pays dévasté par la guerre. L'entrée de la mine fut par la suite murée. Les galeries seraient à l'heure actuelle noyées. À l'initiative des habitants de Thil une souscription en 1945/46 permit la construction de la crypte et la sauvegarde du four crématoire. Ceci fut réalisé à l'encontre des élus qui voulaient faire disparaitre toute trace du camp. Certains voulaient même restituer le four crématoire aux abattoirs pour qu'il y poursuive sa terrible tâche. La crypte fut inaugurée le 17 novembre 1946 en présence des hautes autorités de l'armée et de l'état. Le camp est officiellement reconnu comme camp de concentration annexe de Natzwiller-Struthof le 15 décembre 1949 et déclaré nécropole nationale le 16 août 1984.

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Plan de l'usine souterraine de Thil

Dans son rapport paru en juillet 1949, le "International Tracing Service" (service de la Croix-Rouge) indique : "Longwy CC Kdo de Natzwiller travaillant pour Deutsche Erzwerke AG mentionnés les 14 et 24 juillet 1944 à Longwy/Thil". Dans le rapport de mars 1951, ce même organisme indique : "Longwy-Thil, add. Kdo de Natzwiller, première mention le 10 mai 1944, avec une moyenne de 800 prisonniers mécaniciens-techniciens - Firma AEG jusqu'à septembre 1944, transféré à Dernau et Kochendorf (camps annexes de Natzwiller-Struthof)". Dans le dernier rapport de février 1969 figure la mention : "Longwy-Thil France, ouverture 21 juin 1944 - évacué le 1er septembre 1944 vers Kdos Kochendorf, employeurs : firma Eisenrieth, firma Minette Gmbh, firma AEG, firma Buttler, firma Kronibus, firma Eisenbergwerke, firma Acier, firma Monot et Henel de Paris".

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La crypte de Thil

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Le four crématoire du camp de Thil conservé dans la crypte

Le nombre de déportés passés dans le camp de Thil n'est pas connu. Les chiffres ne sont pas connus avec certitude et les différentes sources sont divergentes. Lors du procès de Nuremberg, un total de 3500 déportés a été évoqué. En additionnant les données fournies par des survivants et évoquées ci-devant nous arrivons à 1963 déportés. Le journal du Rüstungskommando de Nancy établi par le Hauptmann Schweyer pour la période du 1er juillet au 22 octobre 1944 mentionne que le service finition (sonderfertigung) de la société "Minette Gmbh" employait 2000 travailleurs. La société "Minette Gmbh" possédait en plus de ce service, un service fabrication, un service montage, un service atelier de presses et un atelier montage fin. Selon un dernier décompte, il n'y aurait eu dans le camp de Thil que 4 morts (?) et 1 évasion réussie. Le four crématoire n'aurait jamais été utilisé, car il ne fut installé que peu de jours avant l'évacuation du camp.

Il n'y a en ce qui concerne les chiffres qu'une certitude pour ce camp, le 1er septembre 1944 devant l'avance US, les nazis transfèrent 300 déportés vers le camp de Dernau/Ahr et 558 déportés vers le camp de Kochendorf/Neckar en Allemagne. En se référant aux chiffres du procès de Nuremberg, il manque à l'appel 2642 hommes, femmes ou enfants (1404 en se référant aux déclarations des survivants). Je pense que ce chiffre doit être considéré comme un minimum, le chiffre exact des assassinés restera pour toujours inconnu.

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Ces photographies ont été réalisées en janvier 2015.

 

Y ACCÉDER:

L'accès à la nécropole nationale de Thil est indiqué par des panneaux au centre du village. L'accès à la mine est muré.

La crypte est fermée. Pour sa visite, il y a lieu de s'adresser à la mairie de Thil.

 



Les indications pour accéder à ce lieu insolite sont données sans garantie. Elles correspondent au chemin emprunté lors de la réalisation des photographies. Elles peuvent ne plus être d'actualité. L'accés au lieu se fait sous votre seule responsabilité.

Si vous constatez des modifications ou des erreurs, n'hésitez pas à m'en faire part.

 

 

Cette page a été mise en ligne le 10 avril 2015

Cette page a été mise à jour le 5 novembre 2021