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La place forte d'Épinal

De tout temps la France connut des vagues d'invasions en provenance de l'est du continent européen. De nombreux systèmes de défense furent donc érigés le long de ces frontières nord et est. Les flancs maritimes de la France furent également couverts de défense, mais dans une moindre mesure. Les plus connus d'entre eux sont certainement les défenses bastionnées construites par Vauban et, plus proches de notre époque, la ligne Maginot. Chacune de ces lignes de défense présenta une certaine efficacité, mais les progrès techniques des armes d'attaque les rendirent à plus ou moins brève échéance obsolète. Ce fut le cas des défenses en vigueur lors de la guerre franco-prussienne de 1870. Après la défaite de 1871, la France confia au général Séré de Rivières la construction d'une nouvelle ligne de défense de ces frontières nord et est. Cette ligne était constituée d'une série de forts censés canaliser les troupes ennemies vers des points de passage fortement défendu. Les villes situées sur ces lieux de passage furent dotées de nombreux forts. Ainsi furent érigées les quatre places fortes de Verdun, de Toul, d'Épinal et de Belfort.

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L'entrée du fort d'Uxegney

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Fossé du fort d'Uxegney

En 1876 furent donc construits près d'Épinal, sur la rive droite de la Moselle, les forts de Dogneville, de Longchamp, du Razimont et de La Mouche. En 1879 furent construits, sur la rive gauche de la Moselle, les forts de Bambois, de Roulon et de Girancourt. Il s'agissait de solides forts dits d'arrêt capable de se défendre des attaques de tous côtés. Ces forts étaient isolés et éloignés les uns des autres ce qui les empêchait d'intervenir si un autre fort subissait une attaque. Dans les intervalles entre ces forts, furent donc construit, entre 1881 et 1885, les forts des Friches, du Thiéha, de Sanchey, d'Uxegney, de Bois l'Abbé, de La Grande Haye, de La Voivre et des Adelphes. Il s'agit de fort dit de place non protégé sur leur arrière. Après la mise en service de ces forts, Épinal se trouva ceinturé par une ligne de défense continue où les différents forts se couvraient mutuellement. En 1876, le Génie conçut le projet de relier ces différents forts par un réseau de voies ferrées de dimension métrique. En relation avec ce projet fut creusé le tunnel du Thiéha, mais devant le cout le projet fut vite abandonné.

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Fossé du fort de la Grande-Haye

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Fossé et dessus du fort de Sanchey

Les bâtiments de ces forts étaient construits en maçonnerie et étaient recouverts avec 3 m de terre. L'artillerie était placée à l'air libre sur des plateformes terrassées aménagées dans l'enceinte des forts. L'invention de la mélinite, explosif beaucoup plus performant que la poudre noire, par Eugène Turpin en 1885, créa la crise dite de l'obus-torpille et rendit les constructions de défense en maçonnerie obsolète. Les forts de la première ligne de défense firent alors l'objet de couteux travaux de modernisation. Entre 1887 et 1897, l'artillerie des forts fut dispersée dans des batteries extérieures (batterie d'intervalle) et les munitions furent réparties dans des magasins souterrains creusés à flanc de colline à l'arrière des lignes de défense. Des redoutes et retranchements d'infanterie furent construits à l'extérieur des forts qui furent alors utilisés comme casernement. Dans certains forts, les bâtiments furent renforcés par des couches de béton spécial ou armé afin de résister aux nouveaux obus.

Entre 1888 et 1893 fut créé un réseau de voies ferrées de 60 "système Pechot" entre les différents forts de la place d'Épinal. Les 120 km de voies formèrent le plus grand réseau ferré militaire de France. Sur ce réseau circulèrent 14 locomotives, 32 wagons de 5 t de capacité et 117 wagons légers. Afin de permettre une remise en état rapide en cas de bombardement, 24 km de voie étaient maintenus en réserve dans la place. Une petite partie de ce réseau a été restauré au niveau du fort d'Uxegney.

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Voie de 60 à proximité du fort de Bois l'Abbé

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Vestige de la batterie extérieure du fort d'Uxegney

Une grande campagne de modernisation fut exécutée entre 1897 et 1914. Les forts d'Uxegney, de Dogneville, de Longchamp et des Adelphes furent renforcés avec des bâtiments à l'épreuve des nouveaux armements. L'armement de ces forts fut remplacé par des tourelles à éclipses armées de canons ou de mitrailleuses et par des casemates de Bourges. Pour la défense des fossés, les caponnières d'escarpe, trop exposée aux canons ennemis, furent remplacées par des coffres de contrescarpe. Un nouveau fort, le fort de Deyvillers, fut également construit à l'avant du fort de la Voivre entre les forts de Longchamp et des Adelphes.

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Tourelle 75R05 en position de tir (fort d'Uxegney)

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Observatoire cuirassée (fort d'Uxegney)

En 1914, la place forte d'Épinal comprenait seize forts dont cinq modernisés, un réduit (Bois d'Arches), soixante-dix batteries d'artillerie intermédiaire, trente-trois redoutes d'infanterie, vingt abris de combat, dix-huit magasins à poudre, quatorze postes de commandement et trois postes de communication optique. Cette ceinture de défense de 43 km de circonférence était armée par 600 pièces d'artillerie de différents calibres. Les différents forts permettaient le casernement de 15 000 hommes. En cas de mobilisation, la place devait être occupée par 60 000 hommes. Dans la place d'Épinal se trouvaient également un parc à dirigeable, un champ d'aviation, un hôpital militaire et une station de communication par radio.

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Plan de la place forte d'Épinal (photographie du plan affiché dans le fort d'Uxegney)

Les différents forts de la place furent, en 1915, dépouillés de leurs canons afin de les envoyer sur le front. Après la bataille de Verdun, ceux-ci furent réarmés et les entrées des différents forts furent munies de chicanes réalisées avec des sacs de sable et défendues par des mitrailleuses. Entre les deux guerres mondiales, les forts furent utilisés comme dépôt de munitions. Occupés par les Allemands durant la 2e guerre mondiale, les forts furent alors dépouillés de la plupart des équipements métalliques afin d'alimenter l'industrie de guerre nazie. L'armée française en reprit possession à la fin de la guerre. Elle les occupa jusqu’à la fin des années 1960. Les forts connurent ensuite des sorts divers. La plupart furent simplement abandonnées. Si quelques-uns sont toujours utilisés par l'armée (Adelphes, Razimont, Mouche) les autres furent cédés aux communes (Dogneville, Longchamp, Deyvillers, Voivre, Bambois, Girancourt, Sanchey), à des particuliers (Roulon, Friches, Thiéha) ou à des associations (Uxegney, Bois l'Abbé, Grande Haye).

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Tourelle de mitrailleuses en position de tir (fort d'Uxegeney)

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Tourelle 75R05 (fort d'Uxegney)

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La casemate de Bourges gauche du fort d'Uxegney

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Le casernement renforcé du fort d'Uxegney

Le fort de Bois l'Abbé

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L'entrée du fort de Bois l'Abbé

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L'entrée du fort de Bois l'Abbé

Le fort de Bois l'Abbé fut construit entre 1884 et 1885. Son rôle était la surveillance de la route reliant Épinal à Domèvre-sur-Avière et le débouché de la forêt de Souche. Il s'agit d'un fort en forme de trapèze à crête unique dont le rempart est utilisé par l'artillerie et l'infanterie. Il est entouré d'un fossé sec de 6 m de profondeur. Son armement à l'origine était constitué de deux canons de 120 disposés sur le flanc gauche, de deux canons de 120 disposés sur le front de tête, de deux canons de 95 disposés sur le flanc droit et de deux mortiers de 22. Les fossés étaient défendus par quatre canons de 5. Le magasin à poudre avait une capacité de 30 t. Le casernement permettait le logement de 231 hommes.

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En 1911 fut conçu un projet de modernisation. Était prévu un casernement bétonné de 100 places, le renforcement de la protection du magasin à poudre et des couloirs de liaison, deux casemates de Bourges (voir descriptif au fort d'Uxegney), une tourelle 75R05 (voir descriptif au fort d'Uxegney), une tourelle de mitrailleuses (voir descriptif au fort d'Uxegney) et des observatoires cuirassés. Ce projet ne fut pas réalisé. En 1912, l'armement du fort se composait de six canons de 80 avec un stock de 600 obus par canons. La défense du fort était assurée par quatre canons revolver avec 1500 coups par canon (voir descriptif au fort d'Uxegney) et par deux sections de mitrailleuses alimentées avec 43 200 cartouches. Son effectif en 1914 fut de 121 hommes et 2 officiers.

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Le fossé de gorge

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Caponnière simple

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Le fossé du front II

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La caponnière double

Utilisé comme dépôt de munitions entre les deux guerres mondiales, le fort reçut, en 1932, quatre canons antiaériens de 75 installés dans des cuves aménagés sur les dessus. Entre 1940 et 1944, les Allemands y stockèrent des munitions ce qui lui évita le ferraillement. Après 1945, et jusqu'en 1960, le fort servit de dépôt à l'armée française. Il fut ensuite loué à une association et à des particuliers, ce qui produisit quelques dégâts comme l'abattage de cloisons ou la destruction du pont de l'entrée. Le fort est depuis 1995 sous la protection de l'association "Arfupe" qui en assure la restauration et la visite. Il est inscrit aux Monuments historiques depuis 2002.

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Le casernement de gorge

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Le fossé du front III

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Le casernement de gorge

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Le fossé du front IV

Le fort de la Grande Haye

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Entrée et casernement

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Casernement non renforcé

Le fort de la Grande Haye fut construit entre 1882 et 1884 pour un effectif de 194 hommes. Son fossé interrompu au niveau du front de l'entrée (front de gorge) était protégé par une caponnière double, une caponnière simple et un bastionnet de gorge armée par trois canons de 5. Son armement principal en 1884 était composé de deux canons de 95, de six canons de 120L et d'un mortier de 15. Son magasin à poudre avait une contenance de 34 t. Entre 1892 et 1893, une partie du casernement (160 places) fut renforcé par du béton et une traverse-abri en béton spécial fut érigée sur les dessus. Une deuxième traverse-abri en béton spécial et un magasin à munition bétonné furent érigés en 1894.

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En 1890, le fort fut raccordé au réseau de voies ferrées de 60 de la ceinture des forts. Les plateformes d'artillerie furent réaménagées en 1907. Quatre projecteurs oxyacétylènes destinés à l'éclairage des fossés furent mis en service en 1910. Un projet de modernisation étudié en 1900 et en 1908 et destiné à être mis en œuvre entre 1914 et 1916 prévoyait la mise en place d'une tourelle 155R07 (voir descriptif au fort d'Uxegney), d'une tourelle de mitrailleuses (voir descriptif au fort d'Uxegney) et le renforcement des caponnières. Ce projet ne fut jamais réalisé. L'armement du fort en 1912 se composait de huit canons de 80 alimentés à raison de 660 coups par canons. La défense des fossés était assurée par quatre canons revolver avec 1800 coups/pièces (voir descriptif au fort d'Uxegney) et par une section de mitrailleuses (43 200 cartouches). L'effectif était alors de 112 hommes. Le fort eut droit à l'éclairage électrique à partir de 1915.

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Façade du casernement non renforcé

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Façade du casernement renforcé

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Caponnière double

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Fossé et caponnière double

Ayant été utilisé comme dépôt de munition de 1918 à 1939, le fort fut ferraillé par les Allemands durant la 2e guerre mondiale. Après-guerre, le fort servi de terrain de manœuvre au 170e Régiment d'infanterie puis au 1er Régiment de transmission. Le fort est actuellement restauré par l'association "Fortiffsere".

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La caponnière double

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Fossé du front IV avec vue sur la caponnière simple

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Fossé du front III

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Les dessus du fort

Le fort de Sanchey

Le fort de la Sanchey fut construit entre 1881 et 1883 pour un effectif de 149 hommes. Son armement principal, en 1884, était composé de quatre canons de 155L, de quatre canons de 120L et de quatre mortiers de 22. Les fossés étaient protégés par quatre canons de 5. Son magasin à poudre avait une contenance de 50 t. En 1890, le fort fut raccordé au réseau de voies ferrées de 60 de la ceinture des forts et en 1900 un réseau de fils de fer barbelé fut installé sur les glacis. Les plateformes d'artillerie furent réaménagées en 1907 et quatre projecteurs oxyacétylènes destinés à l'éclairage des fossés furent mis en service en 1910.

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L'entrée du fort du Sanchey

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Caponnière de défense de l'entrée

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Le portail d'entrée

Un projet de modernisation fut étudié en 1894 et en 1897. Il était prévu un casernement bétonné de 60 à 100 places couchées, le renforcement du magasin à poudre, de l'entrée et des deux traverses-abris, la construction d'un abri bétonné, la construction de deux coffres de contrescarpe, une tourelle de 75R05 (voir descriptif au fort d'Uxegney) avec un observatoire cuirassé, deux tourelles de mitrailleuses (voir descriptif au fort d'Uxegney), une tourelle 155C (en 1908) et une usine électrique. Ce projet ne fut jamais réalisé.

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Caponnière de défense du fossé

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Chemin de fusillade au-dessus du fossé de gorge

L'armement du fort en 1912 se composait de quatre canons de 80 alimentés à raison de 660 coups par canons. La défense des fossés était assurée par quatre canons revolver avec 1800 coups/pièces (voir descriptif au fort d'Uxegney) et par une section de mitrailleuses (43 200 cartouches). L'effectif était alors de 108 hommes.

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Ces photographies ont été réalisées en aout 2022.

 

Y ACCÉDER:

Les différents forts de la ceinture d'Épinal sont tous indiqués sur les cartes IGN. Seuls les forts d'Uxegney, de Bois l'Abbé et de la Grande Haye sont visitable. Le fort d'Uxegney est régulièrement visitable alors que les forts de Bois l'Abbé et de la Grande Haye ne le sont que lors des journées du patrimoine.

L'accès aux autres forts est interdit. Ils sont, soit des propriétés privées, soit des terrains militaires actifs, soit fermés pour la protection des chauves-souris.

 

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Cette page a été mise en ligne le 31 octobre 2022

Cette page a été mise à jour le 14 décembre 2023