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Le site de lancement de V1
de Val Ygot

Le V1 pour Vergeltungswaffe 1 (arme de représailles) fut le premier missile de croisière de l'histoire. Il fut développé à partir de 1941 à la suite d'une demande de l'armée allemande pour un engin volant armée d'une bombe d'une portée deux fois supérieure aux canons ayant bombardé Paris durant la 1re Guerre mondiale.

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Un V1 (© Wikipédia)

La société Fieseler conçut le Fi103 ou FZG76 (flakzielgerät 76) qui fit son premier vol, largué d'un bombardier FW200, début décembre 1942. Le 24 décembre 1942 eut lieu le premier vol depuis une catapulte au site d'essai de Peenemünde dans la Baltique. Le Fi103 était un avion sans pilote à voilure droite propulsé par un pulsoréacteur (bruit très caractéristique) disposé au-dessus du fuselage à l'arrière. Le fuselage contenait une charge explosive, le carburant et le système de guidage par centrale inertielle. Il avait une longueur de 7,90 m, un diamètre de 1,42 m, une envergure de 5,78 m et un poids de 2247 kg. Il transportait une charge de 847 kg d'explosif et 500 kg de carburant (acétylène). Sa vitesse était de 670 km/h à une altitude de 3000 m. Consommant 15 à 20 l à la minute, la portée du V1 était de 210 km environ avec une précision d'une douzaine de kilomètres.

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Un V1 poussé par de soldats vers sa rampe de lancement (© Bundesarchiv)

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V1 sur son chariot de transport (© Bundesarchiv)

Le pulsoréacteur ne fonctionnant qu'à partir d'une certaine vitesse (passage d'air dans la tuyère), le V1 devait être lancé par des avions (des Heinkel HE111 furent adaptés) ou par une catapulte sur une rampe. Une rampe de 48 m de longueur, incliné à 6 °, avec une catapulte à vapeur fut conçue. La vapeur était produite par une réaction explosive de permanganate de calcium et d'eau oxygénée. La catapulte permettait au V1 d'atteindre les 300 km/h en une seconde. Le point de chute était déterminé par un compteur kilométrique, entrainé par une petite hélice dans le nez du V1 et réglé avant le lancement, qui sectionnait le câble du gouvernail de profondeur et déclenchait, à l'aide de boulons explosifs, la sortie de deux aérofreins. Ceci déclenchait la mise en piqué du V1. Le brusque changement d'assiette entrainait l'arrêt du pulsoréacteur. Sept versions différentes du V1 furent développées avec notamment des explosifs plus puissants, avec des réservoirs plus grands ou une voilure plus légère en bois. La version R (Reichenberg) était une version pilotée testée au printemps 1944 par la pilote d'essai Hanna Reitsch. Considérée comme très dangereuse pour son pilote, qui devait sauter en parachute, elle ne fut pas utilisée.

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V1 sur la rampe du site de Val Ygot

Jusqu'à la fin de 1943, les alliées ne crurent pas à l'existence des V1. En février 1944, les résistants, notamment le réseau Marco Polo, fournirent aux Britanniques des informations sur les essais allemands. L'Armia Krajowa (la résistance polonaise) réussit en juillet 1944 à voler un V1 aux Allemands. Un avion anglais vint le chercher en Pologne. L'Allemagne fournit des données et les plans aux Japonais qui conçurent, à partir de ces informations, l'avion-suicide Kawanishi Baika. À partir des exemplaires capturés à la fin de la guerre les Américains conçurent le Républic Ford JB2, les Russes, le missile 10KH, et les Français, l'avion-cible CT10.

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V1 sur la rampe du site de Val Ygot

Pour la mise en œuvre du V1, la Luftwaffe avait programmé 64 sites de tir principaux et 32 sites de réserve déployés en arc de cercle de Dunkerque à Cherbourg (27 sites en Seine-Maritime). Les sites étaient implantés sur la côte jusqu'à 30 km dans les terres. Le plan standard d'un site se composait d'une rampe en acier protégé par deux murs en béton d'une longueur de 40 m et d'une dizaine de bunkers (stockage, atelier, bâtiment de réglage et abris), le tout relié par une piste en béton. Le montage, le réglage et le tir d'un V1 prenaient environ une heure. L'organisation Todt (le bâtisseur des bunkers du IIIe Reich) y affecta 40 000 travailleurs de force. Les travaux devaient être terminés pour le 15 novembre 1943. Le site de Val Ygot fut construit par la firme belge "Trama" qui employa 200 personnes, des Belges, mais surtout des ouvriers réquisitionnés par le travail obligatoire STO. Grâce aux informations fournies par la résistance, notamment le réseau AGIR de Michel Hollard, et les photographies aériennes, les services secrets britanniques repérèrent les sites de lancement. Le 5 décembre 1943 fut déclenchée l'opération Crosbow, destinée à bombarder les sites de lancement, les dépôts de stockage et les usines de production. Jusqu'en février 1944, 7000 bombardiers effectuèrent 400 raids pour déverser 20 000 tonnes de bombes sur ces objectifs. Entre décembre 1943 et le 13 juin 1944, 36 000 tonnes de bombes furent déversées sur les sites de lancement et les dépôts de V1. Le site de Val Ygot fut bombardé fin décembre 1943. Deux cent soixante-dix bombes y furent déversées juste avant sa mise en service, ce qui amena à son abandon. Le site de Belmesnil, opérationnel le 22 décembre 1943, fut bombardé par l'USAF le 23 décembre 1943, par les Mosquitos de la RAF le 14 janvier 1944 puis à nouveau par l'USAF le 21 janvier 1944.

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Mémorial en mémoire des victimes des V1
(Sculpteur J. M. Depas de Bois-Guilbert)

Ces bombardements décidèrent les Allemands à construire des sites de 2e génération (400 sites entre Dunkerque et Cherbourg, dont 117 en Seine-Maritime). Après le bombardement du site de Val Ygot et son abandon, dix rampes légères furent installées sous le couvert de la forêt d'Eawy. Ces sites ne comprenaient plus que deux rangées de plots en béton recevant une rampe préfabriquée et assemblée par boulonnage, une dalle en béton pour le réglage des centrales inertielles et quelques bâtiments dissimulés par la végétation. L'installation de la rampe prenait moins de 10 h. Une centaine de ces sites furent construits. Une nouvelle campagne de photographies aériennes réalisée par les alliés en avril 1944 permit de repérer la première rampe de 2e génération dans le hameau de Belhamelin près de Nouainville (sud-ouest de Cherbourg). En mai 1944, 66 sites de 2e génération avaient été identifiés.

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Le bunker de réglage de Val Ygot

Hitler voulait une action massive pour les V1. Le 13 juin 1944 à minuit devait avoir lieu un tir de 500 V1 en direction de l'Angleterre. Le premier tir n'eut lieu qu'à 3 h 30 et ne concerna qu'une quinzaine de V1 dont quatre s'écrasèrent au départ et six tombèrent dans la Manche. Le deuxième tir eut lieu le 15 juin 1944. À partir de 55 rampes, 244 V1 furent lancés sur Londres (73 atteignirent leur cible) et 50 furent lancés sur Southampton et Portsmouth. Le dernier tir de V1 eut lieu le 29 mars 1945, il tomba sur le village belge de Datchworth. Entre le 13 juin 1944 et le 29 mars 1945, environ 10 500 V1 furent tirés sur l'Angleterre (8900 tirés de rampes, 1600 largués d'avions). De ce nombre, plus de 1000 V1 ratèrent leurs décollages, 2000 tombèrent en mer, 4000 furent abattus et 3500 atteignirent leur cible. La majorité visait Londres, quelques centaines tombèrent sur Southampton, Norwich et Manchester. Les 2419 V1 qui tombèrent sur Londres firent 6200 morts et 18 000 blessés. Entre le 21 octobre 1944 et fin mars 1945, 12 000 V1 furent lancés sur Anvers (2448 atteignirent leurs cibles) et 3000 V1 furent lancés contre Liège, Charleroi, Namur, Bruxelles (un V1 détruisit l'usine d'aviation Jean Stampe), Lille et Paris.

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La rampe de Val Ygot

Les V1 ayant un vol rectiligne, ils étaient une cible facile pour les avions volant plus vite qu'eux. Sur les 2000 V1 abattus par les avions, les Hawker Tempest en abattirent 638, les Mosquitos 428, les Spitfires 303, les P51 Mustang 232, etc. Suivre un V1 et lui tirer dessus était une opération dangereuse, car il était difficile d'éviter le souffle de l'explosion. Jean Maridor, héros de la France libre, fut tué par l'explosion du V1 qu'il venait d'abattre. Les pilotes anglais développèrent une méthode originale. Ils se plaçaient à côté du V1 et soulevaient l'extrémité de l'aile du V1 avec l'aile de leur avion. Le V1 basculait sans que son système de guidage puisse le rétablir et s'écrasait. La DCA anglaise abattit 2000 V1. En août 1944, les canons de DCA guidée par radar connurent 75 % de succès contre les V1. En juin 1944, 42 % des V1 furent abattus, ce chiffre passant à 60 % fin août 1944. Sur les environs 35000 V1 construits, seul un quart d'entre eux atteignit une cible. Les autres furent détruits au sol par les bombardements, les dysfonctionnements ou furent abattus. Les V1 furent une arme peu efficace (faible charge explosive et faible précision), mais avec un effet psychologique important. Leur principal succès fut d'avoir mobilisé de grands moyens chez les alliés pour les contrer.

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Bâtiment en ski du site de Belmesnil

Le site de Val Ygot regroupe treize bâtiments repartis sur trois hectares. Ces bâtiments sont reliés par 700 m de piste bétonnés larges de 2 m. Le 1er bâtiment servait d'abri aux V1 lors de leur arrivée par camion depuis les lieux de livraison où ils arrivaient d'Allemagne par train. Ce bâtiment de 30 m de long sur 4,20 m de large a vu sa dalle de couverture s'effondrer à la suite d'action de sabotage lors de sa construction. Les travailleurs forcés ne mettaient pas suffisamment de ciment dans le béton ou oubliaient de mettre les renforts en ferraille dans le béton.

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Le bunker de réception des V1 de Val Ygot

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Le bunker d'assemblage des V1 de Val Ygot

Les V1 étaient assemblés, sauf les ailes, dans l'atelier d'assemblage long de 22 m et large de 9 m. Ce bâtiment contenait trois postes d'assemblage et quatre cases de stockage de pièces. Les V1 étaient ensuite stockés dans un des trois bâtiments en ski du site.

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Le bunker d'assemblage de Val Ygot

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Le bunker du personnel de Val Ygot

Les bâtiments en ski étaient longs de 80 m et large de 4,30 m. Ils pouvaient contenir chacun dix V1. L'entrée avait une forme arrondie pour briser l'effet de souffle en cas d'explosion à proximité. Cette forme leur valut le surnom de bâtiment en ski de la part des aviateurs anglais. Sur le site, il était prévu trois bâtiments de ce type, mais seulement les dalles de fondation avaient été coulées avant l'abandon du site.

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Bâtiment en ski du site de Belmesnil

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Intérieur du bâtiment en ski du site de Belmesnil

Le bâtiment le plus important d'un site était le bâtiment amagnétique. Il s'agit d'un bâtiment de 14 m sur 13,30 m, dépourvu de toute pièce métallique afin de ne pas perturber le compas magnétique de guidage du V1. Ce bâtiment, nommé Richthaus par les Allemands et Square Building par les Anglais, servait au montage des ailes et au réglage du compas de guidage. Il est constitué d'un rez-de-chaussée et d'une cave contenant un fourneau en terre cuite destinée au chauffage du bâtiment. Sur le sol se trouvent deux rails parallèles à la rampe de lancement destinée à l'orientation du V1 lors du réglage. Après la libération, tous les éléments du bâtiment furent pillés par les habitants du village dépourvu de toute ressource à ce moment-là.

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Le bâtiment de réglage de Val Ygot

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Le bâtiiment de réglage de Val Ygot

La rampe de lancement est constituée de caisson métallique entourant un tuyau de 30 cm de diamètre dans lequel circule le piston propulsé par le générateur à vapeur. Un piston se trouve à l'arrière de la rampe. Lors du catapultage, le piston et le chariot portant le V1 étaient projetés à plus de 200 m de la rampe. Cette rampe est orientée à 337 ° nord en direction de Londres et incliné de 10 °. Il ne s'agit pas de la rampe d'origine, mais d'un bout de rampe de 20 m (sur les 41 m d'origine) récupéré sur un autre site. Le V1 qui a pris place sur la rampe est une reproduction construite en Angleterre. À gauche de la rampe se trouve le bunker de commande de tir. Ce bunker semi-enterré a 6 m de longueur et 3,50 m de largeur et était occupé par deux personnes lors des tirs.

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La rampe de Val Ygot

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Le bunker de comande de tir de Val Ygot

À côté de la rampe se trouve un V1 d'exercice nommé Bumskopf. Ce cylindre rempli de béton a le même poids qu'un V1 et servait à tester la catapulte. Celui-ci fut retrouvé en bordure du massif de Nappes à "La Laie Madame" (rampe légère).

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Le Bumskopf

Le site contient une réserve d'eau dans un bassin de 80 m3. À côté se trouve la station de pompage. Ce bâtiment de 10 m sur 7 m contient deux citernes en béton et une pompe. L'eau servait au rinçage de la rampe après chaque tir. Mille litres d'eau étaient nécessaires pour neutraliser les produits chimiques utilisés par le générateur à vapeur. Ces produits, permanganate de calcium (Z-Stoff) et peroxyde d'hydrogène (T-Stoff), étaient stockés dans un bâtiment possédant deux salles étanches.

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La reserve d'eau de Val Ygot

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Le bunker abritant la station de pompage de Val Ygot

stockage de carburant
Le bunker de stockage des carburants de la catapulte

Ces photographies ont été réalisées en juillet 2018.

 

Y ACCÉDER:

L'accès au site de Val Ygot est fléché depuis la D915 à Pommereval ou à Ardouval.

Le site de Belmesnil est accessible depuis Bacqueville-en-Caux en empruntant la D149 en direction de Criquetot-sur-Longueville. Les vestiges sont sur le côté de la route dans les champs juste avant les silos agricoles avant le carrefour entre la D149 et la D927.

 

Les indications pour accéder à ce lieu insolite sont donnés sans garantie. Elles correspondent au chemin emprunté lors de la réalisation des photographies. Elles peuvent ne plus être d'actualité. L'accès au lieu se fait sous votre seule responsabilité.

Si vous constatez des modifications ou des erreurs, n'hésitez pas à m'en faire part.

 

 

Cette page a été mise en ligne le 20 octobre 2018

Cette page a été mise à jour le 20 octobre 2018