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La batterie de Merville

La batterie d'artillerie allemande de Merville menaçait avec ses canons Sword Beach où les Britanniques devaient débarquer lors du D-Day. Sa neutralisation était donc considérée comme indispensable avant le début du débarquement. Elle fut donc une cible prioritaire dont la neutralisation fut confiée au 9th Parachute Battalion du lieutenant-colonel Otway. Cette neutralisation ne se déroula cependant pas du tout comme prévu.

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Dans le cadre du mur de l'Atlantique, les Allemands installèrent à Merville une batterie hippomobile de quatre obusiers de 100 mm. Il s'agissait de la position 3. Abteilung du 1716 Artillerie Regiment de la 716e Infanterie Division. Elle était armée de canons tchèques fabriqués par Skoda. Ces canons étaient dénommés "10 cm Leichte Feldhaubitze 14/19" par les Allemands. Longs de 2,40 m et d'un poids de 2855 kg, ils tiraient des obus de 16 kg à 9800 m de distance avec une cadence de 8 obus à la minute. Pour leur déplacement chaque obusier était tiré par 6 chevaux. Jusqu’en 1943, ils étaient installés sous les pommiers appartenant aux familles Legrix, Duval et Delfargueil. Les officiers et les servants de cette batterie logeaient au château de Merville. Menacés par les bombardements aériens, les Allemands décidèrent d’abriter les canons sous des blockhaus. Au printemps 1943 débuta la construction du 1er blockhaus par l'entreprise Rittmann de Paris. Il s'agissait d'un blockhaus de type 611 pour obusier de 150. Ce blockhaus comprend une chambre de tir, deux soutes à munitions, une chambre pour les servants (9 couchages) et une entrée munie d'un sas pour les gaz et d'un créneau de défense. Ce blockhaus, d'une longueur de 17,50 m, nécessita pour sa construction 1330 m³ de béton et 65 t de fer à béton. Il fut complété par un tobrouk pour mitrailleuse. Les trois autres blockhaus abritant les canons étaient plus modestes. Ce sont des blockhaus de type 669 dont la construction nécessita 450 m³ de béton et 20 t de fer à béton. Les deux derniers blockhaus ne furent terminés qu'en mai 1944 après la visite du Generalfeldmarschall Erwin Rommel le 6 mars 1944. Plusieurs autres blockhaus, dont un poste de commandement, furent construits sur le site. La défense du site était assurée par un canon antiaérien Flak de 20 mm et par 15 positions de mitrailleuse. Un champ de mines large de 90 m et deux réseaux de barbelés haut de 1,50 m et large de 4,60 m entouraient l'ensemble du site. Un fossé antichar et de nombreuses tranchées complétaient l'ensemble. L'effectif était de 80 artilleurs du 1/1716 Artillerie Regiment et de 50 hommes du génie.

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Un des blockhaus R669

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Façade arrière d'un blockhaus R669

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Plan du blockhaus R669

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Plan du blockhaus R611

Début 1944, la batterie était commandée par le capitaine Karl Heinrich Wolter. Il était secondé par Rudi Schaaf, par Peter Timp, officier en charge de l'observation, par le sergent major Johannes Buskotte et le sergent Fritz Waldmann, chargés du réglage des tirs. Durant la nuit du 19 mai 1944, le capitaine, qui avait rejoint sa maîtresse, fut tué par le bombardement qui avait visé la batterie, la maison où il se trouvait ayant été totalement détruite. Le lieutenant Raimund Steiner lui succéda. Le 6 juin 1944, la batterie était sous les ordres du sergent-major Johannes Buskotte, présent dans le blockhaus de commandement, et du lieutenant Raimund Steiner qui se trouvait dans le poste de direction de tir sur la plage de Merville.

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Le blockhaus R611

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Façade arrière du blockhaus R611

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Façade arrière du blockhaus R611

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L'intérieur reconstitué de la chambre de tir du blockhaus R611

La présence d'un blockhaus de type 611 fit supposer aux alliés que la batterie était armée de canon de 150 qui présentaient une importante menace pour Sword Beach lors du débarquement. Le Supreme Headquarters Allied Expeditionary Forces (SHAEF) fit donc de la batterie de Merville un objectif prioritaire qui devait être réduit au silence avant 6 h 00 le 6 juin 1944. Cette mission fut confiée au lieutenant-colonel Terence Otway, commandant le 9th Parachute Battalion de la 6th Airborne Division britannique, secondée par le 591th Parachute Squadron des Royal Engineers. Le plan prévoyait à 0 h 30 un bombardement aérien par une centaine de bombardiers Lancaster et Halifax et le parachutage de quatre éclaireurs à proximité avec pour mission le déminage et le balisage d'un passage dans les champs de mines et de barbelés de la batterie. Le parachutage du 9th Parachute Battalion devait se faire à 0 h 50. Les hommes devaient se regrouper près de la batterie à 4 h 00. À 4 h 30, le 4th Squadron devait réaliser une attaque de diversion sur la porte principale de la batterie. En même temps, trois planeurs Horsa avec la A Company et les hommes du 591th Parachute Squadron devaient se poser à l’intérieur de la batterie puis la C Company devait attaquer par le passage dégagé dans les barbelés. En cas d'échec de l'attaque ou sans émission du signal prévue par les parachutistes, le croiseur HMS Arethusa devait ouvrir le feu avec ses canons de 152 et 102 mm à 5 h 30. Lors du briefing d'avant mission du lieutenant-colonel Otway, le brigadier Hill désigna la mission comme particulièrement infecte.

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Vue aérienne de la batterie avant le 6 juin 1944 (photo d'un des panneaux explicatif sur site)

Le 6 juin à 0 h 30 les éclaireurs commandés par le major Alan Parry furent parachutés à proximité de la batterie. Le sergent-major Miller se dirigea vers la batterie pour sa reconnaissance lorsque débuta le bombardement aérien. Les bombardiers ratèrent leur cible en manquant de peu de tuer les éclaireurs. Après le passage des bombardiers, le sergent-major Miller poursuivit sa reconnaissance puis revint en arrière pour attendre l'équipement de déminage. Le parachutiste qui devait l'amener arriva cependant les mains vides, car le matériel fut perdu lors du parachutage. Le sergent-major Miller et le lieutenant Paul Greenway allèrent alors déminer à la main un passage qu'ils balisèrent avec leurs chaussures. Le major Alan Parry, qui fut largué hors de la drop zone, finit par les rejoindre. À la même heure, décollèrent les 400 Dakota (nom anglais des avions de transport Douglas C47 Skytrain) transportant les 750 hommes du 9th Parachute Battalion. Dès leurs approches de la côte normande, ils furent pris dans le feu de la Flak allemande. Les conditions de vol avec en plus un vent soufflant en rafale depuis l'ouest devinrent dantesques. La poussière et les incendies déclenchés par le bombardement brouillaient la vue des pilotes et les marais inondés par les Allemands limitaient la vision des limites entre la Dives et l'Orne. Puis les pilotes se rendirent compte que les balises Eureka de la drop zone V ne fonctionnaient pas. Le parachutage se fit donc à l'aveugle. Six cents parachutistes furent ainsi éparpillés dans les marais inondés où beaucoup se blessèrent à l’atterrissage ou se noyèrent entraînés sous l'eau par le poids de leur paquetage. James Hill, qui atterrit dans l'eau, rassembla 40 hommes dont la plupart furent tués par une attaque aérienne alliée. Parmi eux se trouvait le maître-chien Émile Corteil, 19 ans, qui fut enterré à la nécropole de Ranville avec son chien. James Hill, grièvement blessé, continua cependant à commander sa brigade. Le lieutenant-colonel Otway atterrit à côté d'un bâtiment occupé par des Allemands et faillit être fait prisonnier.

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Un des encuvements pour canon

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Stock de munition d'un encuvement pour canon

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Le pivot du canon d'un des encuvements à été décoré avec l'insigne du 1/1716 Artillerie Regiment. La décoration est datée du 26/07/1941

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Un des encuvements pour canon

Quatre des cinq planeurs Horsa transportant le matériel furent largués trop loin du site ou s’écrasèrent dans les marais. Le cinquième rompit son câble de remorquage et s’écrasa dans la Manche. Un des trois planeurs Horsa qui devait atterrir au sein de la batterie rompit son câble de remorquage, mais réussi à atterrir en Angleterre. Le 9th Parachute Battalion se retrouva donc sans réserve de munitions, sans jeep de transport, sans mitrailleuses, sans matériel de démolition, sans mortiers, sans canons antichars et sans matériel médical. Pire, les fusées éclairantes destinées à guider l’atterrissage des planeurs au sein de la batterie nécessitaient un mortier pour leur lancement, mortier qui n'arriva jamais. À 2 h 50, seulement 150 hommes rejoignirent le point de rendez-vous avec le lieutenant-colonel Otway. Un seul médecin avec quelques infirmiers, sur les 30 au départ, étaient présent. En équipements, ils n'avaient que 6 torpilles Bangalore sur les 60 prévues et une seule mitrailleuse lourde. Aucune radio ne survécut à l’atterrissage. Malgré cela, le lieutenant-colonel Otway maintint l'objectif. Le groupe se mit en route, major Alan Parry en tête. Deux mille cinq cents mètres séparaient le point de rendez-vous de la batterie. Le nouveau plan d'assaut prévoyait l'attaque de quatre groupes au travers de deux brèches dans les barbelés (un groupe par blockhaus). La mitrailleuse lourde assurerait la couverture sur le flanc gauche et une mitrailleuse légère celle du flanc droit. Une autre mitrailleuse légère attaquerait l'entrée de la batterie.

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Face avant d'un blockhaus R669

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Face arrière d'un blockhaus R669

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Face avant d'un blockhaus R669

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Face avant d'un blockhaus R669

À 4 h 00, les parachutistes atteignirent Gonneville-en-Auge au sud-est de la batterie. Le commandement des différents groupes était assuré par le major Alan Parry, le lieutenant Jefferson, le lieutenant Dowlin, le sergent-major Ross et le sergent Long. À ce moment apparurent deux planeurs Horsa. L'un disparut aussi vite qu'il apparut alors que l'autre, piloté par le lieutenant Hugh Pond, piqua sur un blockhaus. Il fut alors touché par le canon de Flak de la batterie et, la queue en flamme, alla s'écraser au sud de la batterie. Le lieutenant Hugh Pond réchappa au crash. La mise à feu des torpilles Bangalore donna le signal de l'assaut que le lieutenant-colonel Otway ponctua des cris "Get in, Get in" (foncez, foncez). Les parachutistes se ruèrent à travers les brèches dans les barbelés et le champ de mines sous le feu des Allemands. La mitrailleuse lourde Vickers, servie par le sergent McGeever, fit taire quelques-unes des mitrailleuses allemandes. Le lieutenant Jefferson s'écroula au milieu du champ de mines alors que le capitaine Hal Huson fut fauché par une rafale de mitrailleuse. L'avance du major Alan Parry fut stoppée par une grave blessure à la jambe. À la vision du feu nourri des Allemands, le lieutenant-colonel Otway engagea les hommes qu'il avait laissés en réserve pour soutenir l'assaut. Le sergent Knight engagea avec ses hommes les servants de la mitrailleuse près de l'entrée principale de la batterie à la baïonnette et à la grenade. Les blockhaus furent atteints et des grenades furent lâchées à l'intérieur par les ouvertures dans les portes et les aérations. Des Allemands sortirent pour se rendre alors que d'autres continuaient de se battre. Le major Alan Parry, traînant sa jambe garrottée, vint diriger la neutralisation des canons. Celle-ci fut réalisée à l'aide de bombes Gammon antichars que transportaient les parachutistes dans leur paquetage. À 5 h 00, les derniers nids de résistance furent réduits au silence. En sortant du blockhaus 1, Alan Parry fut touché à la main par un éclat d'obus. Le lieutenant Steiner depuis le poste de direction de tir sur la plage de Merville ayant ordonné un tir de contre-batterie depuis une autre position d'artillerie allemande.

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Blockhaus abri pour les servants

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L'entrée de ce blockhaus

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Dans ce blockhaus

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Couloir d'accès de ce blockhaus

Le lieutenant-colonel Otway dressa alors le bilan des destructions des canons et l’état de ses hommes. Il savait que tout le monde serait tué si le croiseur HMS Arethusa ouvrait le feu. Sans radio, il envoya un message à l'aide d'un pigeon voyageur et fit tirer une fusée jaune qui fut repérée par le croiseur. Tout le monde évacua alors le site. Le croiseur ne tira pas sur la batterie ce jour. Les survivants du 9th Parachute Battalion se regroupèrent au lieu-dit Le Calvaire, il ne restait que 65 hommes valides. Ils prirent la direction de leur 2e objectif, le hameau Oger. Sur le trajet, ils échappèrent de justesse à un nouveau bombardement allié. Des 50 Allemands occupant la batterie lors de l'attaque, 6 soldats n'avaient subi aucune blessure, 30 étaient blessés, 14 avaient été tués.

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Le blockhaus Poste de commandement

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Canon de campagne anglais Ordnance QF Mk2 de 25 livres

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Canon de campagne anglais de 140 mm

Les Allemands reprirent possession de la batterie dans l'après-midi du 6 juin. Le sergent-major Johannes Buskotte, qui était resté enfermé dans le blockhaus de commandement jusqu'au départ des Britanniques, constata que les canons des blockhaus 1 et 2 pouvaient être remis en service. Cependant, la cadence de tir était réduite à un coup tous les 10 min. Le 3th Commando, sous les ordres du lieutenant-colonel Peter Young, attaqua la batterie à la mi-journée du 7 juin. L'attaque fit de nombreuses pertes dans les deux camps. Les Allemands reprirent les tirs de contre-batterie forçant les Britanniques à fuir à travers le champ de mines causant de nouvelles pertes. La batterie fut prise définitivement le 17 août 1944 par le 12th Devoshires et le 1st Royal Ulster Rifles Battalion. Les Allemands avaient déménagé les canons le matin même.

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Le jardin du souvenir

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La batterie fut laissée totalement à l'abandon après guerre. Françoise Gondrée et Sir Richard Gale, général britannique, ancien commandant de la 6th Airborne Division et fondateur du musée Pegasus Bridge, eurent, en 1969, l'idée de préserver la batterie. En 1977, Françoise Gondrée fit racheter les terrains sur lesquels se trouvait la batterie par le Conservatoire du littoral et en 1980 fut créé le musée géré par une association franco-britannique. Les blockhaus furent classés Monument historique en 2001. Depuis 2008 le musée expose un Douglas C47 Skytrain. Ce C47 ayant participé au débarquement du D-Day a été entièrement restauré dans son état d'origine. Un groupement d’intérêt public remplaça l'association dans la gestion du musée en 2017.

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Le Douglas C47 Skytrain

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Ces photographies ont été réalisées en avril 2024.

 

Y ACCÉDER:

L'accès au musée de la batterie de Merville est fléché depuis Cabourg ou Merville-Franceville-Plage. Le musée est payant.

 

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Cette page a été mise en ligne le 30 mai 2024

Cette page a été mise à jour le 30 mai 2024