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La station radar de
Douvres-la-Délivrande

À proximité du village de Douvres-la-Délivrande, l'armée allemande installa en 1943 une des plus grandes stations radars de Normandie desservies par plus de 230 militaires. La station tomba aux mains des troupes britanniques le 17 juin 1944 après d'intenses combats. Le site devient en 1994 un musée.

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Radar Wurzburg Riese

Les Allemands entamèrent les recherches sur les systèmes radars dès 1934. Les docteurs Rudolf Kuhnhold et Hans Hollmann firent une présentation de leurs recherches sur un système de détection par ondes radio pour la veille lointaine au directeur de recherche de la société Téléfunken, le docteur Wilhelm Runge. Devant son manque d'intérêt, les chercheurs se tournèrent vers la nouvelle société Gema, créée par Paul Gunther Erbslöh et Hans Karl von Willisen. En 1935 devant le succès de Gema, Runge changea d'avis et lança son propre projet. Un système expérimental obtint très rapidement des résultats en détectant très nettement un Junkers JU52. Les différents projets se développèrent rapidement lorsqu'en 1938 l'armée allemande passa une commande pour un système radar. Un système opérationnel fut livré à la Kriegsmarine par la société Gema en 1938. Mais le développement des radars en Allemagne sembla avoir été moins prioritaire qu'il ne le fut pour les Anglais.

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Radar Wurzburg Riese (© Wikipédia)

Les Allemands développèrent cependant plusieurs types de radars et pour chaque type, plusieurs versions. Le radar Wassermann, développé par Siemens, permettait la détection des avions avec une portée de 200 km. Il pouvait fournir la distance, le relèvement et le site de l'objectif. Il permettait également d'interroger un transpondeur IFF (amis/ennemis) installé dans les avions. Il était constitué d'une antenne plate haute de 37 m et d'un poids de 200 tonnes. Il était installé sur un blockhaus de type L480 d'un volume de béton de 1460 m3. Le radar Freya, fabriqué par Gema à partir de 1938, permettait la détection des avions avec une portée de 160 km. Il fournissait la distance et le relèvement des objectifs. Il était constitué d'une antenne plate large de 6,20 m et haute de 7,50 m. Sa puissance était de 20 kW. L'antenne était montée sur un socle rotatif lui permettant de couvrir toutes les directions.

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Radar Wassermann à Bergen-aan-Zee (© Wikipédia)

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Radar Freya (© Wikipédia)

Le radar Mammut fut développé par la société Gema en 1944 en combinant six à huit antennes de radar Freya pour former une antenne plate de 30 m de largeur et de 16 m de hauteur et d'un poids de 150 tonnes. L'antenne étant fixe, le faisceau radar était dirigé électroniquement faisant du Mammut le premier radar à commande de phase au monde. D'une puissance de 200 kW, il pouvait détecter une cible à 300 km de distance et à une altitude maximale de 8000 m. Comme le Freya, le Mammut ne pouvait déterminer que la distance et le relèvement de la cible. Le modèle Mammut Gustav FuMO51 était destiné à la détection des navires et le radar Mammut Cäsar FuMO52 était destiné à la détection des avions.

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Radar Mammut (© Wikipédia)

Le radar Wurzburg Riese fut construit à partir de 1940 par les sociétés Gema et Téléfunken. Il était constitué d'une antenne parabolique d'un diamètre de 3 m pour la version mobile et de 7,50 m pour la version fixe. Dans la version la plus grande, l'antenne avait un poids de douze tonnes. L'antenne était rotative et pouvait couvrir un azimut de 360 °. Fournissant le site, la distance et le relèvement de la cible, sa portée était de 70 km pour le FuSE65 et de 40 km pour le FuSE62 Anton. Fixé sur une embase en béton conique de type V229, il était utilisé pour guider les avions de chasse et la Flak vers leurs objectifs.

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Radar Wurzburg Riese (© Wikipédia)

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Radar Wurzburg Riese (© Wikipédia)

Les différents radars étaient codés FuMG (FunkMessGerät) pour appareil radio de mesure, FuMO (FunkMessOrtung) pour appareil radio de localisation, FuMB (FunkMessBeobachtung) pour appareil radio détectant les balises radio ou FuSE (FunkMess Siemens Erkennung) pour appareil radio de reconnaissance ami/ennemi.

Afin de contrer les raids nocturnes des alliés sur la France et l'Allemagne, le Feldmarschall de l'air Goering confia au général Joseph Kammhuber le soin de mettre en œuvre une défense antiaérienne plus efficace. Le général Kammhuber développa et organisa un réseau de détection allant du Danemark à la France. Il s'agissait d'une chaîne de radars constitués de zones de 32 km de longueur (sens nord/sud) et de 20 km de largeur (sens est/ouest). Chaque zone comportait un radar Freya d'une portée de 100 km, d'un projecteur antiaérien commandé par le radar et deux groupes de chasse constitués de chasseurs Dornier DO17 ou Messerschmitt ME110 ou Junkers JU88. Par la suite, le dispositif intégra également deux radars Wurzburg Riese. Entre Dunkerque et Brest furent ainsi installés 300 radars en 92 stations. Parmi celles-ci, 6 étaient des stations principales ou directrices comme celle de Douvres-la-Délivrande, nom de code "Distelfink" (chardonneret).

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L'organisation Todt débuta la construction de cette station au début de 1942. Environ 1000 hommes furent alors affectés à cette tâche. Elle devint opérationnelle au printemps 1943 et fut achevée à l'automne 1943. Des travaux se poursuivirent cependant jusqu'en juin 1944. Elle fut exploitée par les 230 hommes de la 8Kompanie Luchtnachrichten Regiment 53 de la Luftwaffe sous le commandement du Hauptmann Jäger puis à partir du 1er janvier 1944 de l'Oberleutnant Kurt Egle. Sur un emplacement de 35 hectares furent établis deux emplacements de radars. Au nord se trouvait le Stützpunkt II (Stp II) et au sud le Stützpunkt I (Stp I). Au Stp II était installé un radar à longue portée Wassermann sur un bunker de type L480. Sa protection rapprochée était assurée par quatre tobrouk H58c pour mitrailleuse. La protection antiaérienne était assurée par deux canons 20 mm Flak sur encuvement L409a et un canon 20 mm Flak sur encuvement L410a où était également situé le poste de commandement de la Flak. Plusieurs soutes à munitions complétaient ce site.

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Plan du blockhaus L480

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plan du blockhaus L410a

Le Stp I était le site principal où se trouvaient deux radars Wurzburg Riese FuSE65 et deux radars Freya FuMG80. L'alimentation électrique du site était assurée par un blockhaus-usine électrique de type L486 (1300 m³ de béton). Les informations des radars étaient exploitées dans un immense blockhaus à deux étages de type L479 Anton d'un volume de béton de 2610 m3. Ce blockhaus a une longueur de 22,60 m, une largeur de 18,10 m et une hauteur de 8,40 m. Les servants de la station étaient abrités dans trois blockhaus de type R622 pouvant abriter deux sections de 15 hommes (629 m3 de béton) et différents abris légers. La protection antiaérienne était assurée par deux canons 20 mm Flak30 sur encuvement L409a et un canon 20 mm Flak30 sur encuvement L410a. La protection rapprochée était assurée par six tobrouk H58c pour mitrailleuse, deux blockhaus pour mitrailleuse, un tobrouk pour mortier, un canon antichar 50Pak38, cinq canons de 50 KwK et un canon de 75. Sur le Stp I se trouvaient également deux blockhaus garages à canon, douze blockhaus soutes à munitions, un blockhaus de type H661 servant d'infirmerie, un blockhaus de type H668 et un blockhaus puits et cuve à eau.

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Plan du blockhaus L486

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Plan du blockhaus L409

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Blockhaus L486

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Blockhaus L486

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Radar Freya

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Blockhaus L479 Anton

Dans le blockhaus L479 Anton était traités les données des radars qui étaient matérialisés sur deux tables transparentes Seeburg sur lesquelles un point bleu signalait une cible amie et un point rouge signalait une cible ennemie. Les points se déplaçaient en fonction des données des radars permettant ainsi le guidage des avions d'interception. Ce guidage des avions intercepteurs devint obsolète en 1944 lorsque les avions embarquèrent leur propre radar. À partir de 1944, la station servait de détection lointaine. Elle transmettait ces informations au quartier général de la Luftwaffe, basé à Bernay dans l'Eure, qui se chargeait d'alerter les escadrilles en fonction de la destination des avions ennemis.

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Plan du blockhaus L479 Anton

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Blockhaus L479 Anton

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Blockhaus L479 Anton

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Poste de commandement / salle des cartes dans le blockhaus L479

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Poste de commandement / salle des cartes

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Couloir dans le blockhaus L479

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Une salle dans le blockhaus L479

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Dans le blockhaus L479

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Dans le blockhaus L479

Durant les semaines précédant le débarquement du 6 juin 1944, la station radar Distelfink fit l'objet de plusieurs bombardements aériens. À l'aube du 6 juin, un avion britannique détruisit l'antenne du radar Wassermann, haute de 65 m, qui était déjà hors service depuis plusieurs jours. Durant la matinée de nombreux soldats allemands en poste à Douvres-la-Délivrande et à Tailleville, fuyant les troupes britanniques et canadiennes, se réfugièrent à la station. Au cours de l'après-midi du 6 juin, les canadiens du North Shore Regiment, venant de Saint-Aubin-sur-Mer, se heurtèrent à la défense du Stp II. Ils décidèrent de laisser cet obstacle aux Britanniques et le contournèrent. Douvres-la-Délivrande fut libéré le 7 juin par le 48th Commando britannique. Entre le 6 et le 17 juin, la garnison de la station radar résista à plusieurs assauts des Britanniques et renseignait l’État-major allemand sur les mouvements alliés. Des avions allemands en provenance de Mont-de-Marsan parachutaient de nuit de l'approvisionnement à la garnison assiégée. La station radar était soumise aux bombardements navals alliés qui causèrent de nombreux dommages dans le village de Douvres-la-Délivrande ou plusieurs civils furent tués. La mise en service, le 15 juin, de l'aérodrome provisoire B4 à Bény-sur-Mer précipita la prise de la station radar. Le 17 juin, les hommes du 41th Royal Marine Commando et les chars du 22nd Dragoons du 13th/18th Hussars lancèrent trois assauts sur le site provoquant la capitulation des Allemands. Durant les combats, tous les radars furent détruits.

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Dans le blockhaus L479

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Dans le blockhaus L479

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Dans le blockhaus L479

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Couloir dans le blockhaus L479

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Accès avec poste de mitrailleuse du blockhaus L479

Chaque soldat débarquant en Normandie avait reçu une somme de 200 francs. Pour soutenir l'avance des troupes, le Royal Army Pay Corps (RAPC), corps d'armée destinée à assurer le financement de l'armée en campagne et de payer la solde des soldats, achemina dès le 6 juin des coffres de billets dans les caves d'un château dont les fondations furent renforcées avec du béton. Ces caves se révélèrent rapidement trop exiguës et le 15 juillet 1944 un fonds de 2 899 000 000 (deux milliards huit cent quatre-vingt-dix-neuf millions) de francs fut transféré en toutes discrétions dans les blockhaus de la station radar. Dans ces blockhaus furent créées cinq salles fortes, la salle "Tomcat" pour les francs français, la salle "Friable" pour les Francs belges, la salle "Lilith" pour les Florins hollandais, la salle "Duo Deno" pour les Couronnes danoises et la salle "Wild Dog" pour les Marks allemands. Tous les jours, des camions livraient discrètement les unités au front sans que personne à Douvres-la-Délivrande ne soit au courant. Le front s'étant déplacé en Belgique, le 25 septembre 1944, le fond de 6 500 000 000 (six milliards cinq cents millions) de francs situé à la station radar fut transféré à la Banque de France à Paris.

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Blockhaus L622

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Blockhaus L622

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Entrée du blockhaus L622

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Dans le blockhaus L622

À partir du 8 mai 1945, des prisonniers allemands furent affectés au déminage du site, mais la chose n’avança guère. Dans une délibération de 1950, le conseil municipal de Douvres-la-Délivrande menaça de démissionner si les problèmes de sécurité notamment le déminage ne sont pas pris en charge par l’État et réalisés sans délai. Les blockhaus ayant été comblés et les terrains remis en culture, la station radar disparut du paysage et des mémoires. Mais pas de celle de Raymond Laville, le président des Anciens Combattants de Douvres-la-Délivrande, qui cherchait à créer un musée sur le site. Le mémorial de Caen se vit proposer en 1990 le don du radar Wurzburg Riese, utilisé jusqu'en 1987 par l'équipe du professeur Yves Rocard comme radiotélescope. En 1992, la municipalité racheta les 3 hectares de terrain sur lequel se trouvaient les blockhaus les plus importants. À l'approche du 50e anniversaire du Débarquement, le Mémorial de Caen et le Conseil régional réfléchirent à la création du musée sur ce terrain. Le musée fut inauguré le 6 juin 1994. Il fut géré par le Mémorial de Caen jusqu'en 2006 ou cette gestion fut reprise par la municipalité. À l'occasion du 70e anniversaire du Débarquement, les sols, les blockhaus et les vestiges archéologiques de la station radar furent, le 10 juin 2014, classés Monuments historiques. La gestion du musée fut reprise en 2015 par le Mémorial de Caen jusqu'en 2020 où la municipalité, propriétaire du site, la confia à l'Association des Amis du Musée Radar de Douvres.

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Radar Wurzburg Riese

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Radar Wurzburg Riese

Des 1500 exemplaires du radar Wurzburg Riese construit durant la 2e Guerre mondiale il n'en subsiste actuellement que cinq. Celui exposé au musée de Douvres-la-Délivrande fut récupéré dans un autre site par le professeur Yves Rocard qui en fit un radiotélescope installé à Meudon puis à Nancay en Sologne. Il y fut utilisé jusqu'en 1987. L'antenne parabolique du radar fut renversée par la tempête en décembre 2016. Il fut restauré en 2020 et fera l'objet d'une nouvelle restauration prochainement. À proximité du Wurzburg le musée expose un radar américain SCR584. Celui-ci provient de la station radar de l'armée française de Monterfil près de Rouen. Ce radar fut mis au point par le Massachusetts Institut of Technology (MIT) et mis en service en mai 1943. Avec une parabole de 1,80 m de diamètre, il avait les mêmes performances que le Wurzburg démontrant par là l'avance technologique prise à l'époque par les Américains dans le domaine des radars. Est également exposé un radar Cotal de Thompson, un radar SCR584 construit sous licence à partir de 1950 pour l'armée française.

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Radar Wurzburg Riese

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Radar américain SCR584

Ces photographies ont été réalisées en avril 2024.

 

Y ACCÉDER:

L'accès au musée du radar de Douvres-la-Délivrande est fléché sur les différentes routes passant à proximité de ce village.

La visite du musée est payante.

 

Les indications pour accéder à ce lieu insolite sont donnés sans garantie. Elles correspondent au chemin emprunté lors de la réalisation des photographies. Elles peuvent ne plus être d'actualité. L'accès au lieu se fait sous votre seule responsabilité.

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Cette page a été mise en ligne le 30 mai 2024

Cette page a été mise à jour le 30 mai 2024