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La Caverne du Dragon

Au cours de la 1re Guerre mondiale, les soldats des différentes nations qui se sont affrontées sur les terres de l'Aisne ont utilisé les creutes (carrières souterraines) pour s'abriter des tirs de l'artillerie ennemis. Des innombrables creutes qui étaient à l'époque accessible, aucune n'a cependant acquis la renommée de celle qui fut dénommée la Caverne du Dragon. La visite de ce lieu de mémoire est incontournable pour comprendre la vie des malheureux combattants du Chemin des Dames.

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Le centre d'acceuil de la Caverne du Dragon (© F.MARLOT-CD02 Caverne du Dragon)

Le Chemin des Dames passe sur un plateau orienté est-ouest assez étroit séparant l'Aisne, au sud, de l'Ailette, au nord. Ce plateau est constitué de calcaire lutétien, une roche sédimentaire qui s'est accumulée au fond de l'océan il y a 45 millions d'années. Ce calcaire est très apprécié comme pierre de construction notamment pour les édifices prestigieux comme les cathédrales ou les châteaux. Cette roche gorgée d'eau est assez facile à extraire et une fois à l'air libre, en séchant, devient une pierre très résistante. La roche calcaire dans l'Aisne fut exploitée dès l'époque gallo-romaine. Les bancs de calcaire exploitable affleurant à flanc de coteau, l'exploitation en carrière souterraine s'est vite imposée, car elle permettait d'épargner les terres agricoles des plateaux. L'exploitation se faisait en creusant des galeries dans le banc de calcaire. Les carriers utilisaient des pioches à fer symétrique pour pratiquer des encoches verticales pour délimiter les blocs à extraire. Ceux-ci étaient ensuite séparés de la roche à l'aide de coins en bois ou en fer. Au XIXe siècle, un carrier pouvait en moyenne extraire six blocs par jour. À l'entrée des carrières, les creutes, étaient très souvent installée une ferme ou les habitations des carriers.

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Stèle "Aux morts de la 164e DI" près de la Caverne du Dragon

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La "Constellation de la Douleur" de l'artiste Christain Lapie

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La "Constellation de la Douleur" de l'artiste Christain Lapie

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La "Constellation de la Douleur" de l'artiste Christain Lapie

La Caverne du Dragon était, avant 1914, nommée tout simplement la Creute et associée à la ferme de la Creute. L'origine de cette carrière n'est pas connue, mais les méthodes de taille identifiée au sein des galeries semblent indiquer qu'elle fut exploitée dès le XVIe siècle. En 1789, elle faisait partie des possessions de l'abbaye de Vauclair. L'exploitation de la carrière semble avoir cessé au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle. La carrière d'une superficie assez faible de trois hectares fut alors utilisée, comme de nombreuses autres creutes, en tant qu'espace de remise agricole pour abriter le matériel et le bétail. D'après un plan de 1915, la Creute disposait alors de huit entrées donnant sur la cour de la ferme.

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Salle dans la Caverne du Dragon (© Wikipédia)

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Salle dans la Caverne du Dragon (© Wikipédia)

Lors de la 1re bataille de la Marne, la guerre, qui était jusque là une guerre de mouvement, s'immobilisa sur le Chemin des Dames. Les Allemands s'y installèrent défensivement en attendant les troupes franco-britanniques. Le 4régiment de Zouave français s'empara de la ferme de la Creute et de sa carrière le 14 septembre 1914, mais la position resta précaire. Le lieu, dépourvu de tranchées et de réseau de fils barbelés, n'était qu'à 150 m des lignes allemandes qui pouvaient attaquer sans rencontrer d'obstacles. Les Français fortifièrent la ferme et creusèrent des tranchées en reliant les différents trous d'obus sous le feu de l'artillerie allemande. Manquant de bougies et d'autres moyens d'éclairage, les Français s’installèrent près des entrées de la creute qu'ils barricadèrent avec des murs de sacs de pierres et des charrettes. Un poste de commandement et un poste de secours y furent installés. Les attaques et contre-attaques se succédèrent jusqu'au début de l'hiver. Les Français parvinrent à conserver leur position. Les Français fêtèrent Noël dans la creute, l'abbé Narp y célébra une messe sur un autel érigé dans la galerie principale.

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Salle dans la Caverne du Dragon (© Wikipédia)

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Salle dans la Caverne du Dragon (© Wikipédia)

Le 25 janvier 1915, les IR102 (infanterie regiment 102) et IR103 allemands lors d'une nouvelle attaque s’emparèrent de la creute après un affrontement sanglant. Les Français du 18RI furent repoussés vers la vallée Foulon. Les Allemands firent alors de la creute une position dominant les lignes françaises et un casernement souterrain. Comme les entrées s'ouvraient au sud face aux lignes françaises, les Allemands creusèrent un tunnel de 125 m de longueur pour relier la cavité à une autre creute sur le versant nord du plateau permettant la circulation des hommes et des matériaux hors de vue des Français. Afin de ne pas susciter la curiosité des avions de reconnaissance, les Allemands repartirent les déblais des travaux à l'intérieur de la creute. Dans la creute nord les Allemands avaient installée une cuisine dont la fumée en s'échappant de la cavité rappela aux soldats la tanière d'un dragon. La creute au nord, en référence de la mythologie germanique, fut connue au fil des jours sous le nom de Drachenhöhle (caverne du dragon). Après avoir relié les deux creutes, la dénomination fut reprise pour l'ensemble. Sur le plateau, les Allemands aménagèrent trois lignes de tranchées fortifiées avec des abris en béton protégeant les mitrailleuses. Sur ces lignes, de nombreux observatoires, habilement enterrés, étaient reliés par téléphone ou signaux optiques avec les batteries d'artilleries installés au nord du plateau. La plupart de ces abris furent reliés par des cheminées et des galeries souterraines à la Caverne du Dragon. Celle-ci fut aménagée pour servir de casernement à plus de 400 hommes.

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Salle de la Caverne du Dragon (© FX-DESSIRIER-CD02 Caverne du Dragon)

Bien que l'humidité élevée et le manque d'air rendirent le séjour souterrain pénible, un poste de commandement avec téléphone, un dépôt de munition et un poste de secours y furent aménagés. Un groupe électrogène fournissait l'électricité servant à l'éclairage et à faire fonctionner un extracteur de fumée mécanique. La présence d'un puits, creusé par les carriers à l'époque de l'extraction de pierres, fournit aux occupants une source d'eau précieuse en 1re ligne. Des latrines furent également aménagées dans la caverne. Afin de se préserver des attaques françaises et des gaz de combat, des murs de séparation furent érigés près des entrées sud de la caverne. Des mitrailleuses défendaient ces murs. Bien que la caverne permettait d'échapper aux projectiles, à la pluie et à la neige, l'humidité ambiante ne permettait pas aux habits de sécher. Les conditions sanitaires précaires et l'angoisse permanente de voir la caverne s'effondrer sous les coups de l'artillerie ne favorisaient pas le repos des soldats.

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Salle dans la Caverne du Dragon (© Wikipédia)

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Ancien cimetière dans la Caverne du Dragon (© Wikipédia)

La préparation d'artillerie de l'offensive française déclenchée le 16 avril 1917 négligea totalement le sous-sol du Chemin des Dames. À 6 h, le 16 avril 1917, sous la neige et des températures glaciales, deux bataillons du 33régiment d'infanterie coloniale (RIC), accompagné du 6bataillon de tirailleurs sénégalais, jaillirent de leurs tranchées à l'assaut du Chemin des Dames. La réaction allemande étant très faible, ils franchirent en 30 minutes les 1res lignes allemandes. Ils se heurtèrent alors au RIR73 (reserve infanterie regiment 73) retranché dans la 3e ligne. Après le passage de la 1re vague de combattants français, les hommes du RIR92 sortirent de la Caverne du Dragon pour réoccuper leur 1re ligne d'où, avec des mitrailleuses, ils clouèrent au fond de la vallée Foulon les bataillons de la seconde vague française et isolèrent les hommes de la 1re vague. Selon un officier du RIR92, à 7 h, ils avaient consommé 2000 grenades et 19 000 cartouches. Lors de la relève de la 10DIC, le 18 avril 1917, par le 4régiment de Zouave, les pertes se chiffraient à 5466 hommes. Le 6bataillon de tirailleurs sénégalais avait perdu 563 hommes. La Caverne du Dragon fut alors occupée par le 2régiment de Grenadiers à pied de la Garde Impériale allemande. Dans des combats acharnés, le 4Zouave parvint cependant à verrouiller les entrées sud de la Caverne du Dragon.

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Salle dans la Caverne du Dragon (© Wikipédia)

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Salle dans la Caverne du Dragon (© Wikipédia)

À partir de cette date, les Français contrôlèrent les entrées sud de la Caverne du Dragon, mais les Allemands gardèrent la main sur la caverne et toute la partie nord du plateau. Entre la fin d'avril et la fin de mai 1917, les tranchées au-dessus de la Caverne du Dragon changèrent plusieurs fois de mains. Les violents bombardements rendirent la vie dans ces tranchées et dans la Caverne du Dragon infernale. Les 5 et 6 mai 1917, les Français tentèrent d'attaquer en surface et en sous-sol. Le RICM (régiment d'infanterie colonial du Maroc) et le 19RI parvinrent difficilement à avancer dans les tranchées alors que le 6Génie, conduit par le lieutenant Lépine, démoli à l'explosif un mur dans la Caverne du Dragon avant d’être exterminé à la grenade par les Allemands. Dans la nuit du 24 au 25 juin 1917, les Français déversèrent 199 m³ de gaz dans la Caverne du Dragon. À 18 h 30, le 6bataillon du 334RI, le 2e et le 3bataillon du 152RI et les groupes francs de la 164DI se lancèrent à l'assaut de la Caverne du Dragon défendu par un bataillon du IR57 allemand. Dans la soirée, les Français s'étaient rendus maîtres de la Caverne du Dragon en faisant 300 prisonniers.

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Vestiges dans la Caverne du Dragon (© Wikipédia)

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Vestiges dans la Caverne du Dragon (© Wikipédia)

Le 26 juillet 1917, après un violent bombardement, les Stosstruppen allemandes pénétrèrent dans le tunnel nord, mais furent bloquées dans la Caverne du Dragon. En surface, les Allemands parvinrent jusqu'aux entrées sud, mais furent repoussés par une contre-attaque française. Après la bataille, les Allemands occupaient la partie nord et les Français la partie sud de la Caverne du Dragon. Une mortelle cohabitation commença. En septembre 1917, les Français repoussèrent les Allemands jusque dans le tunnel nord. Après la bataille de la Malmaison, les Allemands se retirèrent sur les hauteurs au nord de l'Ailette durant la nuit du 1er au 2 novembre 1917 en abandonnant la Caverne du Dragon aux Français. La Caverne du Dragon fut occupée successivement par les 55e, 45e et 48BCP (bataillon de chasseurs à pied).

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Vestiges dans la Caverne du Dragon
(© Paul Arps, license : CC BY 2.0)

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Vestiges dans la Caverne du Dragon
(© Paul Arps, license : CC BY 2.0)

Les Français reprirent l’aménagement de la Caverne du Dragon comme l'avaient fait les Allemands. Malgré les réaménagements des entrées et la présence d'un dépôt de munitions, les soldats du 118RI ne purent résister à l'attaque allemande du 27 mai 1918 où les Allemands déferlèrent jusqu’à la Marne. Ayant reçu l'ordre de "résister sur place et de tenir jusqu'au bout", le capitaine Pierre Rio, après avoir lâché son dernier pigeon voyageur pour faire connaître sa situation, fit détruire la sortie et la galerie nord avant de se rendre vers 9 h. Les Français ne revinrent à la Caverne du Dragon que le 12 octobre 1918 lors de la reprise du Chemin des Dames par les troupes franco-italiennes.

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Salle dans la Caverne du Dragon (© F.MARLOT-CD02 Caverne du Dragon)

Dès 1919, le Chemin des Dames devint un lieu de pèlerinage pour les familles en deuil et les anciens combattants. La Caverne du Dragon, dont l'entrée se trouve à proximité de la route, se visitait alors à la lueur d'une bougie ou d'une lampe à carbure. Alphonse Hanras, un ferrailleur breton venu dans l'Aisne pour participer à la reconstruction, s'improvisa comme guide. Au fil des années, il aménagea l'accès à la Caverne du Dragon. Il agrémentait les visites avec des anecdotes recueillies après d’anciens combattants revenus sur les lieux. Le site, habilement documenté dans le "Guide Michelin des Champs de bataille" publié en 1921, devint rapidement un des plus visités sur le champ de bataille. Auguste Rogez prit la suite d'Alphonse Hanras dans les années 1960 comme guide dans la Caverne du Dragon. Après les commémorations du cinquantenaire de la fin de la 1re Guerre mondiale en 1968, la Caverne du Dragon fut aménagée en musée sous l’égide du "Souvenir Français". Pour constituer le musée, un appel aux dons fut lancé sur la radio RTL. Le "Souvenir Français" céda le site au département de l'Aisne en 1995 qui décida d'y créer un espace muséographique dédié à la mémoire des combattants du Chemin des Dames. Celui-ci fut inauguré le 5 juillet 1999.

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 "Les Flambeaux de la Mémoire" dans la Caverne du Dragon (© F.MARLOT-CD02 Caverne du Dragon)

Ces photographies ont été réalisées en juilet 2020.

Je remercie le service de communication de la Caverne du Dragon pour l'aimable fourniture de photographies.

 

Y ACCÉDER:

La Caverne du Dragon est située le long de la départementale CD18 entre Cerny-en-Laonnois et Craonnelle juste avant la ferme de Hurtebise.

La visite, payante, se fait avec un guide. Tous les renseignements pratiques sont disponibles sur le site :

 https://www.chemindesdames.fr/fr

 

Les indications pour accéder à ce lieu insolite sont donnés sans garantie. Elles correspondent au chemin emprunté lors de la réalisation des photographies. Elles peuvent ne plus être d'actualité. L'accès au lieu se fait sous votre seule responsabilité.

Si vous constatez des modifications ou des erreurs, n'hésitez pas à m'en faire part.

 

 

Cette page a été mise en ligne le 29 aout 2020

Cette page a été mise à jour le 29 aout 2020