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Le couvent perdu de
Schwarzenthann

L'ancien couvent de Schwarzenthann connait non pas une renaissance, puisqu'il n'ait pas question d'une réinstallation de moniale, mais une sortie de l'oubli. Après la redécouverte de ses ruines en 1969, une action de sauvegarde remet à l'honneur ses vestiges oubliés au sein de la forêt.

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L'emplacement de la chapelle en 2023

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Le chevalier Burcard de Gueberschwihr, aidé du philosophe et théologien Manegold de Lautenbach, fonda, en 1089, un monastère à Marbach (entre Voeglinshofen et Husseren-les-Châteaux) placé sous la règle de Saint-Augustin. Au côté des moines, son épouse y installa une communauté de religieuses, celle-ci aurait au début été hébergée dans leur château. Béatrix, une parente de Burcard ou un membre de la puissante famille des Eguisheim, offrit au monastère en 1117 un terrain au fond du vallon de Wintzfelden au lieu-dit Schwarzenthann. En 1119, le pape Calixte II accorda à la communauté les privilèges d’accueillir des convers et d'ensevelir dans son cimetière. Ceci devint un attrait puissant pour ce petit couvent. La communauté de religieuses fit construire à Schwarzenthann une chapelle dédiée à la Vierge Marie qui fut consacrée par l’évêque Berthold de Bâle en 1124. Cette chapelle fut complétée par un certain nombre de bâtiments conventuels. La date de l'installation des moniales en ces lieux est cependant floue. Celle-ci eut lieu entre 1124 et 1150, mais les moniales restèrent sous le contrôle d'un chanoine de Marbach appelé soit "prieur" soit "magister sororum". La communauté bénéficiera de nombreuses donations comme celle faite par le chapitre de Lautenbach et confirmée par l'évêque de Strasbourg Conrad II en 1202. Celle-ci permettait à la communauté de prélever le dixième des récoltes et des animaux se trouvant autour du couvent dans un espace délimité par deux chemins et lui permit de bénéficier des produits de la ferme de Zerzental. Selon des documents datés de 1279 et 1287, le couvent possédait également des vignes à Soultzmatt et à Orschwihr.

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L'emplacement du cloitre en 2023

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L'emplacement du cloitre en 2023

C'est probablement au sein de ce couvent que fut rédigé en 1154 par la moniale Guta le manuscrit dénommé "codex Guta-Sintram". Ce chef-d’œuvre de la miniature romane d'Alsace de cent soixante-trois feuillets d'un format de 360 mm sur 270 mm fut illustré par le moine Sintram de Marbach. Il comporte un nécrologue (une liste de défunts), un homéliaire, qui suit les évangiles du jour, et la règle de saint Augustin. D'après les spécialistes, les conseils d'hygiène ou de diététique, les travaux du mois et les multiples enluminures du codex Guta-Sintram sont précieux pour comprendre la vie du XIIIsiècle. La principale occupation des moniales de Schwarzenthann était une activité intellectuelle et artistique au sein d'un scriptorium. Celui-ci produisit une importante famille de manuscrits enluminés dont les plus connus sont le Codex Laudunensis (évangéliaire de Laon) et une "grammaire" conservée à Nuremberg. De nombreux manuscrits conservés dans différents musées en Europe sont actuellement rattachés à la production des scriptoriums de Schwarzenthann/Marbach.

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Photographie du codex Guta-Sintram conservé à la Bibliothèque du Grand Séminaire de Strasbourg.
© Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons

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© Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons

Une nouvelle chapelle fut consacrée en 1214 par l'évêque de Bâle. Quelques années plus tard, en 1254, le couvent fut pillé lors d'une des nombreuses guerres de succession au sein du Saint Empire Romain Germanique. L'évêque de Bâle, Berthold, accorda, le 17 juin 1254, une indulgence de 40 jours au couvent suite à "incendie et rapine générale de la guerre". Il fut à nouveau pillé par les hobereaux de Soultzmatt, les sires de Laubgassen, en conflit avec l'évêque de Strasbourg, suzerain du Haut-Mundat (pays de Rouffach), en 1280. L'évêque de Bâle procéda alors à une réconciliation de la chapelle et du couvent (reconsécration après une profanation). En 1298 au cours de la guerre de succession du Saint Empire Romain Germanique, le couvent fut détruit par les mercenaires du comte Thiebault de Ferrette, allié d'Adolphe de Nassau, l'empereur en titre, en guerre avec Albert de Habsbourg, son prétendant, soutenu par l’évêque de Strasbourg, Conrad de Lichtenberg. Le couvent ne fut reconstruit qu'en 1313. Il aurait été à nouveau détruit par les Anglais en 1360 au cours de la guerre de Cent Ans. Le couvent connut alors une période de déclin. De nombreuses difficultés juridiques survinrent du fait de la rivalité des évêques de Bâle (dont le diocèse englobait Marbach), qui en assurait la direction spirituelle, et de Strasbourg, qui en avait la direction temporelle (le couvent se trouvant sur les terres du Haut-Mundat). À la suite du relâchement de l'observation des règles monastiques (comme ce fut le cas dans de nombreux couvents), l'abbé de Marbach demanda au concile de Bâle d'y mettre un terme. Celui-ci prononça, avec l'accord des évêques de Bâle et de Strasbourg, l'interdiction d’accueillir des novices, ce qui provoqua l’extinction de la communauté. Le couvent, désert, fut repris, en 1462, par le monastère de Marbach qui y installa six prêtres pour assurer le service divin. Cette situation déplut au comte Guillaume de Ribeaupierre qui obtint des évêques de Strasbourg et de Bâle la réoccupation du couvent par des religieuses à condition qu'elles soient cloîtrées et soumises à l'ordre des Augustines. En 1484, huit augustines en provenance de Guebwiller s'y installèrent. Le monastère de Marbach leur céda les lieux et quelques dépendances. Il en conserva cependant un certain nombre malgré une bulle du pape de 1488 lui en faisant l'injonction de la session totale.

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L'emplacement de l'enfeu et des dalles funéraire en 2007

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L'ancienne chapelle en 2007

Ces moniales ayant à subir de nombreux mauvais traitements des habitants de la région et devant la situation fortement dégradée du couvent quittèrent les lieux en 1493. Le comte afferma alors le couvent à un paysan. L'année suivante, les locaux furent investis par les moniales du couvent cistercien de Lucelle, dévasté par une inondation. Le couvent et ses dépendances, sauf celle que Marbach s'était gardée, leur furent cédés moyennant la somme de 300 florins bâlois. Mais les ressources du couvent se montrèrent insuffisantes. En 1505 à la suite de l'inspection de deux visiteurs de l'ordre, Jean Dulmann et Jean de Zusato, la situation de misère fut reconnue par l'évêque et le monastère de Marbach dut assumer l'entretien de l'aumônier et le versement d'une rente annuelle d'un foudre de vin blanc et de dix livres bâloises. Ce contrat fut confirmé par le pape Innocent VIII et définitivement ratifié par le prieur Antoine de Wyck et la prieure Ursule de Zwingen. Au cours de la guerre des Paysans, en 1525, le couvent fut à nouveau la proie des pillards. L'ampleur des dégâts nous est connue par la plainte rédigée par la prieure Ursule Verburger. Ils s’emparèrent de tout ce qu'il était possible de récupérer et détruisirent tous ce qu'ils ne pouvaient emporter. La bibliothèque constituée de plus de 500 manuscrits fut brûlée. Les vingt-trois religieuses réussirent à sauver certaines de leurs affaires et parvinrent à s'enfuir. Huit d'entre elles reprirent possession du couvent en 1526, mais malgré la condamnation des pilleurs le couvent ne se releva pas de cet épisode. Les moniales restantes quittèrent le couvent pour une maison à Rouffach appartenant au monastère de Marbach vers 1529. Ayant négocié avec le cardinal Laurent, légat du pape en Allemagne, les moniales obtinrent leurs rattachements au couvent de Schonensteinbach en 1530. Ce rattachement ne fut cependant reconnu par l'évêque de Strasbourg qu'en 1533. Les locaux et les dépendances furent vendus en 1539 par le couvent de Schoenensteinbach à l'évêque de Strasbourg, Guillaume de Honstein, pour la somme de 800 florins bâlois. Son successeur Érasme de Limbourg vendit pour la même somme les ruines à la commune de Soultzmatt en 1543. Les ruines servirent alors de carrière. Ayant obtenu l'aval de l'évêque de Strasbourg, Egon de Furstemberg, les jésuites d'Ensisheim voulurent prélever des pierres pour la construction de leur collège. Ce qui provoqua un conflit avec la commune de Soultzmatt qui affirmait que les pierres en provenance des ruines étaient réservées à l'agrandissement des églises de Soultzmatt et d'Osenbach.

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L'emplacement de l'enfeu en 2023

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Le chœur de la chapelle resta cependant en activité jusqu'en 1778 en tant qu'oratoire. L'historien Philippe André Grandidier signala en 1785 qu'une partie du chœur de la chapelle était toujours debout. En 1889, le site fit l'objet d'une étude par Fritz Kessler, un industriel de Soultzmatt, par Charles Hoffman, et par Théobald Walter. En 1964 monsieur Elsass, professeur à Guebwiller, obtint de la commune de Soultzmatt l'autorisation d'étudier les ruines. Il dressa un plan des lieux, mais ne finit pas son étude. Cette étude fut reprise en 1969 par Robert Kippelen, également professeur à Guebwiller, avec un groupe d’étudiants. C'est en faisant des sondages pour préciser le plan qu'ils tombèrent, le long du côté nord d'un mur orienté est-ouest, sur des pierres taillées qui étaient le sommet d'un arc roman en plein cintre. Cet arc, qui fut complètement dégagé le 11 août 1969, se releva être un enfeu avec un sarcophage dont le couvercle gisait, retourné, à côté. Il s'agit du quatrième enfeu de ce type connu en Alsace, les autres étant le sarcophage de Saint-Morand à Altkirch, le sarcophage d'Adeloch à l'église Saint-Thomas de Strasbourg et le sarcophage d'Etichon au couvent de Sainte-Odile. Le 19 août furent dégagées le long du mur, à gauche de l'enfeu, deux dalles funéraires romanes. Le lendemain, fut trouvé, à droite de l'enfeu, une dalle gothique ornée d'un écu surmonté d'un heaume à cimier et portant un reste d'inscription "… undus miles" puis une autre dalle funéraire portant un écu armorié correspondant à la famille des Ellenwiller, éteinte vers 1347. Deux autres dalles sans inscriptions furent dégagées dans le prolongement de ces deux dalles. Sur la gauche de l'enfeu se trouvaient trois dalles funéraires dont la première était décorée de motifs à palmettes contenus dans des demi-cercles et la deuxième portait trois cercles concentriques disposés à l'extrémité ouest de la dalle. Le mur soutenant l'enfeu est considéré comme étant le mur nord de la chapelle du couvent. Par la suite, des fouilles clandestines mirent à jour au sein de la chapelle une autre dalle funéraire décorée d'un arc de cercle, d'une rosace sur un carré et d'une rosace sur un cercle. En 1970 furent réalisées des fouilles sur le reste du site. La chapelle conventuelle est de forme rectangulaire de 24,70 m sur 10,70 m avec des murs d'une épaisseur de 0,90 m. Le chœur de cette chapelle du côté est a relevé la présence de trois blocs de maçonnerie correspondant certainement à des autels. Aucune trace d'une éventuelle voûte n'a été retrouvée au sein de la chapelle. Subsistent sur le site les vestiges des murs du cloître, de quelques autres petits bâtiments et d'un puits.

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L'enfeu et le sarcophage à leur emplacement d'origine en 1981

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L'enfeu et le sarcophage en 1981

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Une des dalles funéraires en 1981

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Une des dalles funéraires en 1981

La cuve du sarcophage est longue de 2,08 m, large de 0,75 m et haute de 0,615 m. Elle est régulièrement évidée. Elle est décorée d'une arcature aveugle composée de six arcs reposant sur sept colonnettes à chapiteaux vierges. Le couvercle, long de 2,08 m, large de 0,80 m à la tête et de 0,68 m aux pieds et de 0,185 m d'épaisseur, est décoré d'inscriptions funéraires. Au centre, figure l'inscription "V. ID. AUG Ø GERTRUDIS" qui est traduite par "le 5jour des ides du mois d’août est décédé Gertrudis de Strasbourg". À l'avant est inscrit "IIII. ID NOV Ø ELENTA" traduite par "le 4jour des ides de novembre est décédée Elenta". Y figure également l'inscription "+AGNES+". Le sarcophage servit donc à l'inhumation de deux, voire de trois personnes. La tranche du couvercle est décorée avec une frise à motifs de feuilles de vigne. Les datations des différents éléments réalisés par comparaison stylistique montrent que l'enfeu et le couvercle (datée du XIIIsiècle) sont plus récents que la cuve du sarcophage (datée du Xsiècle). Le sarcophage et les pierres tombales, classés monuments historiques en 1982, ont été transférés près de l'église de Winztfelden en 1986 afin de les préserver d'un pillage.

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L'enfeu et le sarcophage au lapidarium de Wintzfelden

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Le couvercle du sarcophage

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Une légende prétend que les moniales auraient creusé des souterrains allant jusqu'au lieu-dit du Blumenstein occupé actuellement par le terrain de sport de Wintzfelden. Il existait en effet, à cet endroit, sept petites grottes dont les galeries s'étaient effondrées au bout de quelques mètres. Elles ont été détruites lors de la construction du terrain de sport. D'autres souterrains seraient allés en direction du Ritzenthal (au nord). Ces galeries qui étaient destinées à permettre la fuite des occupants du monastère auraient servi à cacher douze statues en or représentant les douze apôtres. Les nuits de tempêtes, vers minuit, on pourrait apercevoir les fantômes des sœurs se promener dans les ruines où on les entend pleurer et prier. À la pleine lune de mai, les ruines du couvent laisseraient la place à de magnifiques constructions où évolueraient des nonnes chantant des hymnes.

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L'emplacement de la chapelle en 2001

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Les vestiges du puits en 2001

Après la destruction du couvent, les habitants de Rouffach voulaient emporter la cloche de Schwarzenthann. Ils la placèrent sur un chariot tiré par des bœufs. À la sortie de Soultzmatt, l'attelage refusa d'avancer. Tous les efforts pour faire bouger l'attelage demeurèrent vains. Ils décidèrent donc, sur les conseils d'un prêtre, de faire demi-tour et d'installer la cloche au clocher de l'église Saint-Sébastien de Soultzmatt. L'attelage repartit sans difficulté et la cloche fut même tirée par un seul bœuf malgré la montée. La cloche sonne toujours, mais personne n'a jamais trouvé les statues ni même les souterrains.

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Dalle funéraire en 1981

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Le sarcophage en 1981

A l'église de Soultzmatt se trouvent de très beaux sarcophages carolingiens et de superbes pierres et monuments funéraires.

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Monument funéraire de Guillaume Kappler et de son épouse Adélaïde

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Monument funéraire de Jean Christophe de Breitenlaudenberg

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Monument funéraire de Joseph Eusebe de Breitenlaudenberg

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Ces photographies ont été réalisées en 1981, en 2001, en 2007 et en 2023

Y ACCÉDER:

Allez à Wintzfelden, dans la vallée de Soultzmatt. Après l'entrée du village, prenez la 1re rue à gauche et passez à côté de l'église. Prenez ensuite le chemin forestier à gauche, à l'indication "Vestiges de Schwarzenthann". Ce chemin peut être pris en voiture ou à pied. Restez sur ce chemin (sans prendre d'embranchement) et gravissez la colline. Laissez la plantation de vignes à votre gauche et entrez dans la forêt. Garez la voiture à côté du panneau d'information. Les ruines se trouvent derrière le panneau légèrement sur la gauche.

Au retour, arrêtez vous à l'église de Wintzfelden où dans le cimetière l'entourant, ont été regroupées, le sarcophage et les pierres tombales trouvées dans les ruines de Schwarzenthann.

Avant de quitter la vallée, arrêtez vous à l'église de Soultzmatt, où se trouvent de très beaux sarcophages carolingiens et de superbes pierres et monuments funéraires.

 



Les indications pour accéder à ce lieu insolite sont données sans garantie. Elles correspondent au chemin emprunté lors de la réalisation des photographies. Elles peuvent ne plus être d'actualité. L'accés au lieu se fait sous votre seule responsabilité.

Si vous constatez des modifications ou des erreurs, n'hésitez pas à m'en faire part.

 

 

Cette page a été mise en ligne le 21 décembre 2002

Cette page a été mise à jour le 30 décembre 2023