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Le mur de la peste

le mur

La peste, ce terrible mot, longtemps tabou, fit durant l'antiquité et le Moyen-âge des millions de morts à travers le monde. Ce fléau de Dieu ne fut expliqué par la science qu'en 1894 lorsque le médecin Yersin découvrit, à Hongkong, le bacille de la peste : "Yersina Pestis". La maladie peut prendre différentes formes. La forme la plus courante est la peste bubonique. Les bubons apparaissent après une incubation de deux à cinq jours. En cas de complication, on parle de peste septicémique. La peste pulmonaire, transmissible directement d'homme à homme, est la plus grave. Dans cette forme, la mort survient entre le deuxième et le cinquième jour.

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L'Europe connut plusieurs épidémies de peste. La première épidémie, la peste de Justinien, sévit autour de la Méditerranée entre le VIe et le VIIIe siècle. En 1270, l'épidémie de Tunis décima l'armée des Croisés et tua Saint-Louis (Louis IX). La plus terrible sera certainement la "peste noire" qui tua entre 1347 et 1352 un tiers de la population européenne. La France mettra deux siècles à retrouver la population d'avant l'épidémie. La peste réapparaitra ensuite en France environ tous les dix ans jusqu'en 1650. La dernière grande épidémie en Europe fut la peste de 1720. La peste est toujours présente dans le monde, notamment en Afrique, en Inde et en Chine ou même aux États-Unis. Le dernier cas signalé en France date de 1974.

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La peste de 1720 débute le 25 mai 1720 à Marseille avec l'arrivée du navire "Le Grand Saint-Antoine" en provenance de Syrie. Il transporte une cargaison de textile impatiemment attendu par les négociants marseillais. À l'époque, la ville, avec ses 80 000 habitants, subit une grave crise économique. La cargaison est une promesse de travail pour de nombreux ouvriers désœuvrée. Cependant, le capitaine du navire déclare à son arrivée que huit personnes sont mortes de la peste durant la traversée. Le 29 mai, les autorités décident que les marchandises non contaminées et les hommes seront débarqués aux Infirmeries (le grand lazaret de Marseille) et que les marchandises susceptibles de transporter la peste, comme les tissus, seront débarquées à l'ile de Jarre pour y être exposées durant 26 jours au soleil. À l'époque, la règle consistait en cas de peste déclarée à faire faire une quarantaine de 50 jours aux marchandises et une quarantaine de 40 jours aux hommes. Le 3 juin, les autorités décident, contrairement à la règle, de tout débarquer aux Infirmeries. De gros enjeux financiers ont probablement mis la pression sur les autorités portuaires. Des étoffes sont même directement distribuées aux tailleurs.

le mur
Partie du mur reconstitué

Le 20 juin est enregistrée la première victime, une couturière de la rue de l'échelle. Les autorités feront la sourde oreille jusqu'au 31 juillet 1720 où la peste est officiellement déclarée à Marseille. Elle y sévira jusqu'au 19 août 1721 et fera 50 000 morts. La peste se propagera vers le nord en passant par Aix-en-Provence et la combe de Lourmarin pour atteindre Apt en septembre 1720. Elle suivra également un axe vers l'ouest par Saint-Rémy-en-Provence et Tarascon pour atteindre Avignon en juillet 1721.

vestige du mur
Vestige du mur

À l'époque, une partie de la Provence appartenait au Pape. L'état d'Avignon englobant la ville et ses environs fait partie des possessions du Saint-Siège depuis 1348 et le Comtat Venaissin (la partie occidentale de l'actuel département du Vaucluse) est terre pontificale depuis 1271. Les deux états seront rattachés à la France à la Révolution. À l'annonce de la peste à Marseille, des lignes sanitaires gardées par l'armée sont établies. Le 1er août 1720, le vice-légat du Pape Elci interdit toute relation avec Marseille. Il laisse cependant le commerce s'exercer avec la Provence où la peste est pourtant déjà installée à Aix-en-Provence et près d'Apt. Ce n'est que le 4 septembre sous la pression française que cette interdiction s'applique à toute la Provence au sud de la Durance. Une ligne sanitaire est donc établie sur la rive droite de la Durance. Elle est gardée par la garde des états pontificaux. La garde sera cependant incapable d'arrêter la contrebande qui va, avec les mesures de prohibition, prendre des proportions incommensurables. Le 25 septembre, à la déclaration officielle de la peste à Apt, une deuxième ligne sanitaire allant de la Durance au Mont-Ventoux est établie à la limite des états pontificaux. Il s'agit principalement de barrières au niveau des chemins et routes. La ligne est gardée par 800 gardes enrôlés par le vice-légat du Pape. Le régent de France, Philippe d'Orléans, estime ces mesures insuffisantes. D'autres lignes sanitaires sont établies à l'ouest du Rhône et entre la Provence et le Dauphiné. Ces mesures sanitaires étouffent économiquement le Comtat. Les communautés locales assurent le financement de ces mesures en payant la solde des troupes et des médecins et les approvisionnements en nourriture et en médecines des populations soumises aux restrictions sanitaires. Les communautés n'ont pas les moyens d'assumer ces charges et doivent emprunter. La recherche de fonds devient rapidement une préoccupation majeure. Dès janvier 1721, la disette s'installe.

une porte
Un passage dans le mur

En février 1721, les autorités pontificales entreprennent des démarches auprès du régent de France pour faire reprendre le commerce. Le 14 février 1721, la décision est prise d'établir une ligne sanitaire commune entre la France et le Comtat. La France a en charge la ligne de Sisteron au Pas du Viguier au sud de Monieux et le long du Rhône au sud de la Durance. Le Comtat a en charge la ligne du Pas du Viguier jusqu'à la Durance. Le Comtat accepte de construire un mur allant du Pas du Viguier à la Combe de Cabrière. Le régent autorise la reprise du commerce entre le Comtat et la France dès que le mur est construit. L'architecte carpentrassien Antoine d'Allemand est donc chargé de construire un mur de six pieds (1,944 m) de hauteur et de 2 pieds (0,65 m) de largeur. Dans ces mémoires Antoine d'Allemand parle d'une "ligne sur les limites entre le Comtat Venaissin et la Provence de 18 000 toises (35 km) dont 6000 toises (11,7 km) faites avec un parapet de terre et un fossé au devant et 12 000 toises (23,3 km) avec des murs faits en pierre sèche". En mars 1721, les autorités pontificales décident de mobiliser 500 hommes pour la construction de la ligne. Chaque village se voit assigner un nombre d'hommes et une quantité de matériaux à fournir. Les ouvriers sont payés 10 sols par jour (un ouvrier agricole en gagne 14, un maçon 19) et sont employés en moyenne durant une dizaine de jours. Les ouvriers étant logés dans les villages, une bonne partie de la journée de travail est perdue dans les trajets. La lenteur de la construction et le faible zèle des communautés à fournir leur dû imposent aux autorités pontificales la réorganisation du chantier. Fin mai 1721, chaque communauté se voit attribuer la responsabilité de la construction d'un tronçon du mur, les ouvriers étant payés par les autorités pontificales non plus à la journée, mais à la longueur de mur construit. Les communautés devront cependant être menacées d'amende et de représailles pour faire avancer les travaux qui se terminent fin juillet 1721. La ligne sera gardée par un millier de soldats pontificaux. À cette date, le commerce reprend entre le Comtat et la France.

guérite
Une guérite

mur
Le mur de la peste

Cependant fin août 1721, la peste est déclarée à Avignon. Les troupes françaises remplacent les troupes pontificales en s'installant de l'autre côté du mur pour protéger le pays d'Apt débarrassé du fléau. Le Comtat est isolé de la France et du reste de la Provence. La ligne censée protéger le Comtat de la peste en provenance de la Provence voit son rôle inversé. Dès octobre, la peste s'étend dans le Comtat. Elle se propage et s'amplifie jusqu'en juillet 1722. L'épidémie s'éteint progressivement à partir de septembre 1722. Fin février 1723, les lignes sanitaires sont levées et les troupes françaises quittent le pays. La peste aura tué environ 25 % de la population du Comtat. Les communautés mettront des années à rembourser les emprunts contractés au cours de l'épidémie. La plupart des villes se verront obliger d'augmenter jusqu'à 50 % les impositions pour faire face aux remboursements.

enclos
Un enclos

Le mur de la peste, dénommé à la fin de l'épidémie "ligne de la malédiction", suit sur 25 km la crête des monts de Vaucluse. Il débute au Pas du Viguier au sud des gorges de la Nesque et se termine à la ferme de la Baume au sud de Cabrière-d'Avignon. Il a été construit en pierre sèche à l'aide des pierres trouvées sur place. L'assemblage est grossier et irrégulier et très souvent bancal. Laissé totalement à l'abandon à partir de 1723, il n'en restait qu'un tas informe de cailloux lorsqu'en 1986 des passionnés entreprennent d'en faire le relevé. Après 30 jours d'inventaire, des chantiers de bénévoles totalisant 120 jours de travail (entre 1986 et 1992) vont en assurer la restauration aux deux extrémités.

guerite
Une guérite de garde

vue de près
Détail de la guérite

Il est impossible de confirmer la hauteur réelle du mur. Les rares archives parlent de deux mètres de hauteur. Sur le terrain, cette hauteur n'est pas confirmée. Par contre, 40 cabanes en pierre sèche régulièrement espacée ont été retrouvées. Ces guérites ont leur ouverture tournée vers le mur dont elles sont distantes de 2,50 m. Elles sont de section semi-circulaire avec un diamètre de 2,10 m. Elles étaient certainement recouvertes d'un toit en branchage ou en tuiles. Ces guérites sont situées à 99 % du côté provençal du mur.

corps de garde
Corps de garde

Cinquante cabanes de forme carrée (3,70 m de côté extérieur) sont reparties le long du mur. Parmi celles-ci, une dizaine sont des cabanes doubles. Ces corps de garde abritaient des petites unités (5 à 6 hommes) ainsi que le matériel et les provisions. Contrairement aux guérites, ces cabanes carrées sont accolées au mur. Trente-quatre d'entre elles sont situées du côté provençal, les autres, du côté du Comtat.

corps de garde
Corps de garde accolé au mur

détail
Détail d'un corps de garde

Vingt et un enclos réalisés avec des murs en pierre sèche sont disséminés le long du mur. Ces enclos de forme rectangulaire ou ovale (10 m de long et 6,50 m de large) servaient d'entrepôts de vivres et de fourrages destinés aux mulets acheminant l'eau et les provisions depuis les villages. Douze d'entre eux sont disposés du côté provençal du mur. D'autres petites cabanes adossées au mur existent. Celle-ci, non mentionnée dans les archives, pourrait avoir été construite après le mur. Les guérites et les corps de garde sont plus nombreux près des villages et de lieux de passages. Par contre, les enclos sont concentrés sur le plateau aux endroits les plus isolés. Le nombre élevé de constructions du côté provençal semble indiquer que ces abris ont été construits par les soldats français après leur cantonnement le long du mur en août 1721 pour se protéger contre les rigueurs de l'hiver.

le mur

Ces photographies ont été réalisées en août 2011.

 

Y ACCÉDER:

De Monieux, prendre la D96 puis la D5 en direction de Méthamis. Au premier virage après la ferme St-Hubert, prendre le chemin allant tout droit et se garer. Suivre le chemin vers le Pas du Viguier. L'indication "Mur de la Peste" n'indique pas le mur, car celui-ci débute au Pas du Viguier. À cet endroit, le mur et les constructions ont été restaurés sur une longueur de 500 m. Un sentier permet de suivre le mur jusqu'à sa fin près de Bourbourin.

 



Les indications pour accéder à ce lieu insolite sont données sans garantie. Elles correspondent au chemin emprunté lors de la réalisation des photographies. Elles peuvent ne plus être d'actualité. L'accés au lieu se fait sous votre seule responsabilité.

Si vous constatez des modifications ou des erreurs, n'hésitez pas à m'en faire part.

 

 

Cette page a été mise en ligne le 10 octobre 2011

Cette page a été mise à jour le 23 février 2015