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Le Colorado provençal

Cheminée des Fées dans le Colorado

La vallée du Calavon ou du Coulon est prise en tenaille entre le massif du Lubéron au sud et les monts du Vaucluse au nord. Au nord du Calavon, émerge, le long d'une bande de 30 km de long et de 7 à 8 km de large, une série d'iles constituée de sable ocreux d'une épaisseur comprise entre 100 et 150 m. À partir de 1780, l'homme va creuser dans ces affleurements de sables ocreux un nombre important de carrières, façonnant ainsi de toutes pièces un paysage digne du Colorado d'Amérique (en miniature toutefois).

Les cheminées des Fées du Colorado

L'ocre provençal s'est formé à partir des sédiments marins du crétacé. À la fin du crétacé inférieur (110 millions d'années [Ma]), la Provence est recouverte par une mer peu profonde. La fosse vocontienne, apparue il y a 195 Ma, est sur le point d'être comblée. Une importante quantité de matière organique et minérale (notamment du quartz) en provenance des continents s'y accumule. Ce dépôt va produire une argile verte, riche en minéraux de fer nommé glauconie. Vingt millions d'années plus tard, durant le crétacé supérieur (coniacien) les mouvements tectoniques provoquent l'émersion de la Provence au niveau de l'équateur. La chaleur et les pluies équatoriales vont transformer la glauconie. La dissolution de la plupart des minéraux et l'oxydation du fer va produire un nouveau minéral de couleur jaune : la goethite. L'altération de la glauconie produit également de la kaolinite (silicate d'alumine). Cette altération s'est produite de manière hiérarchisée. À la base subsistent les roches vertes (la glauconie) et au-dessus se superposent les diverses couleurs de l'ocre du rouge au jaune en fonction de la teneur en oxyde de fer. Le rouge survient lorsque, sous l'action du soleil et de l'eau, la goethite libère son hydrogène pour devenir de l'hématite. Au-dessus de l'ocre se trouvent les sables blancs siliceux kaoliniques où l'eau a totalement lessivé les oxydes de fer. Le massif ocreux provençal est né.

Ces dépôts du crétacé vont ensuite être recouverts par la sédimentation continentale du paléocène, de l'éocène et de l'oligocène (65 à 24 Ma) avant de replonger sous la mer du miocène (24 à 5,5 Ma). La Provence émerge définitivement durant le pliocène (5,5 à 2,5 MA). Durant cette période et durant le pléistocène (2,5 Ma à 11 000 ans), elle va subir l'érosion puissante liée aux différentes périodes glaciaires. Cette érosion va faire apparaitre les couches géologiques du crétacé tel que les calcaires urgoniens (130 à 125 Ma) qui forment l'ossature des monts du Vaucluse et des monts du Lubéron.

Entre 1780 et 1785, Jean-Étienne Astier met au point le processus industriel de lavage des sables ocreux permettant la séparation du sable (quartz et silice) de l'ocre pure (argile et fer). Ce processus est nommé lévigation. C'est cependant dans les gisements d'ocre de Bourgogne que ce processus sera appliqué à grande échelle. Si le massif ocreux du Lubéron est le plus volumineux, l'ocre pure n'y représente que 20 % de la masse de sable. Dans les gisements de Bourgogne, les proportions sont inversées. À l'époque, l'absence de desserte fluviale ou ferroviaire freine le développement de la Provence. Ce n'est qu'en 1877 que le chemin de fer arrive à Apt. Dès lors, l'industrie de l'ocre décolle et va en quelques années totalement supplanter celle de Bourgogne. Une véritable aubaine pour la région qui a vu ces champs d'oliviers et son vignoble totalement détruit par le gel et le phylloxera en 1870. La production d'ocre va croissant d'année en année pour culminer en 1929. Une vingtaine d'usines employant un millier d'hommes produira cette année-là 40 000 tonnes d'ocre expédié dans le monde entier. La crise économique de 1929, la guerre et la concurrence des pigments artificiels vont sonner le glas de l'industrie de l'ocre. Actuellement, il ne reste qu'une carrière en activité pour une production annuelle inférieure à 1000 tonnes.

Un mur rocheux séparant deux couleurs d'ocre (rouge à droite et jaune à gauche)

L'exploitation d'une carrière à ciel ouvert commence par le décapage de la couche de terre arable et de la couche stérile (pauvre en ocre). Les ouvriers armés d'une pioche à destrau (pioche-hache) effectuaient ce travail à la main. Ils déblayaient ainsi les couches de minerai jusqu'à atteindre le "bon minerai". Celui-ci devait contenir un minimum de 180 kg d'ocre par m³ de sable. Le contre-maître déterminait cette valeur par un test empirique en délayant un peu de minerai dans une gamelle d'eau. L'extraction du minerai se faisait en perçant dans la paroi deux trous à la barre à mine. L'un, vertical, était foré depuis le haut de la paroi, l'autre, horizontal, était foré au pied de la paroi. Les deux trous étaient ensuite bourrés avec de la poudre noire à l'aide d'un bourroir. Après l'explosion, le minerai était chargé à la pelle dans des tombereaux tirés par des chevaux. Ceux-ci furent ensuite remplacés par des camions. À partir de 1950, les hommes furent progressivement remplacés par les engins mécaniques.

Le minerai extrait est ensuite déversé en tas correspondant aux différentes nuances. Ce tas de minerai est ensuite arrosé abondamment. L'eau chargée de minerai est dirigée vers un malaxeur (gros mixeur) destiné à homogénéiser et à casser les mottes formées par l'action de l'eau. À la sortie du malaxeur, le mélange est dirigé vers un batardeau, long bassin étroit et profond d'environ un mètre. Le mélange y décante. Les grains de sable (plus lourd) tombent rapidement au fond tandis que l'ocre reste en suspens. Plusieurs batardeaux sont disposés l'un après l'autre, le mélange passant de l'un à l'autre. L'ouverture du bouchon fermant le batardeau était une opération importante. Ouvert trop tôt, le sable passe avec l'ocre, ouvert trop tard, l'ocre s'est déposé au fond. Pour connaitre le bon moment, l'ouvrier goutait le mélange. Si le mélange crissait sous la dent il restait du sable, par contre s'il collait aux dents, il était temps de la laisser s'écouler.

Le Sahara

À la suite des batardeaux se trouvaient les bassins de décantation. Ceux-ci étaient remplis par couches successives pour obtenir une couche d'ocre de 80 cm d'épaisseur. Le lavage du minerai et le remplissage des bassins se faisaient durant l'hiver où l'eau ne manquait pas. Les bassins étaient ensuite abandonnés à l'action du soleil après l'évacuation du surplus d'eau claire situé en surface. Lors du séchage, l'ocre craque dans les bassins (phénomène naturel affectant toutes les terres desséchées). Les ouvriers vont cependant canaliser ce craquement en quadrillant l'ocre à l'aide d'un outil (pic ou autre). Ce quadrillage, effectué au bon moment, va provoquer lors du séchage la découpe de l'ocre en brique. Celles-ci étaient à la fin de l'été sorti des bassins et empilé en murs tout autour des bassins pour parfaire le séchage.

L'ocre séchée est ensuite broyée dans des moulins à farine puis tamisée pour obtenir une poudre conforme aux demandes des utilisateurs. Cette étape est la plus pénible du cycle de l'ocre. Dans les moulins, la poussière d'ocre était partout. Les ouvriers souffraient donc de silicose ou de pneumoconiose affectant les poumons. La plupart des ouvriers ne restaient que deux ans à ces postes. La poudre d'ocre était ensuite mise en baril en vue de leurs expéditions. Jusqu'en 1960, ces barils étaient en bois et pesaient entre 50 et 250 kg. Ces barils n'étaient pas particulièrement étanches et plus d'un arrivait à destination partiellement vide. Un train chargé de ces barils subit un jour en gare de Cavaillon un coup de mistral. Les maisons aux alentours virent ce jour leurs façades, habituellement blanches, prendre une couleur ocrée. Les barils furent remplacés dans les années 1960 par des futs métalliques. Actuellement, l'ocre est conditionnée en sac en papier identique aux sacs de ciment.

L'ocre broyé peut également passer au four. L'ocre jaune prend, après une cuisson d'une trentaine d'heures à une température comprise entre 350° C et 500° C, une teinte rouge. Ce phénomène a été découvert dès le paléolithique. La nature produit également de l'ocre rouge. Il faut au soleil une cinquantaine d'années pour transformer l'ocre jaune en ocre rouge sur une profondeur de 2 cm. Le minerai de goethite (jaune) se transforme en hématite (rouge). Pour opérer en profondeur, la nature met plusieurs milliers d'années.

Le Colorado provençal correspond à un site de carrières d'ocres à ciel ouvert exploité jusque durant les années 1950 au sud du village de Rustrel à l'extrémité orientale du massif ocreux. Plusieurs sentiers parcourent ces carrières où coexistent toutes les nuances des ocres provençaux.

Au niveau du "Sahara" subsistent des vestiges de tuyauteries. Au début de l'industrialisation de l'exploitation des ocres entre 1790 et 1880, l'extraction était effectuée par un arrosage direct des parois des carrières. Le lavage était réalisé directement dans la carrière. Après l'essor de l'exploitation furent construites des usines de traitement communes à plusieurs carrières.

Vestiges des tuyaux d'eau dans le Colorado

Ces photographies ont été réalisées en juillet 2011.

Y ACCÉDER:

Pour tout savoir sur la commune de Rustrel et préparer votre voyage, rendez-vous sur leur site internet en cliquant ici

Le Colorado est accessible depuis le parking géré par l'association du Colorado de Rustrel (parking payant) situé le long de la D22 au sud de Rustrel. La visite vous prendra entre 2 et 3h.

Un autre aperçu des carrières d'ocres peut être obtenu en se rendant du camping du Colorado à la chapelle Notre-Dame des Anges. De Rustrel, prendre la D22 vers Apt et se rendre au camping. À gauche du camping commence le chemin menant au site de l'accrobranche du Colorado. La chapelle Notre-Dame des Anges est située à quelques mètres de ce site.

Notre-Dame des Anges

Les indications pour accéder à ce lieu insolite sont données sans garantie. Elles correspondent au chemin emprunté lors de la réalisation des photographies. Elles peuvent ne plus être d'actualité. L'accés au lieu se fait sous votre seule responsabilité.

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Cette page a été mise en ligne le 10 octobre 2011

Cette page a été mise à jour le 23 février 2015