Le Transi

L'église St-Étienne, au centre de la ville haute de Bar-le-Duc, recèle un monument funéraire du XVI^e siècle représentant un corps décharné rompant radicalement avec l'art funéraire du Moyen-âge.

Le monument a été réalisé vers 1547 par le sculpteur Ligier Richier. L'attribution du monument à Richier n'est pas confirmée, mais n'est plus contestée depuis le XVIII^e siècle. Il a été réalisé à la demande d'Anne de Lorraine, fille du duc de Lorraine, pour la tombe de son mari René de Chalon, prince d'Orange. Celui-ci trouva la mort, le 5 juillet 1544, lors du siège de St-Dizier. Le corps de René de Chalon fut enterré dans le caveau familial situé dans l'église de Breda aux Pays-Bas. Son cœur et ses viscères furent cependant inhumés dans la chapelle Notre-Dame de la collégiale St-Maxe qui était la chapelle du château des ducs de Bar. La collégiale se trouvait sur l'actuelle esplanade du château. Elle fut détruite durant la Révolution française. D'après une légende, le monument était conçu selon la volonté du défunt de le représenter trois ans après sa mort, mais le testament de René de Chalon invalide cette version. Le testament ne précise que les détails de sa succession et les dévotions religieuses à tenir après sa mort.

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Origine : Wikipédia, auteur : Mossot (CC BY 3.0)

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Origine : Wikipédia, auteur : Weglinde (CC BY 3.0)

Le monument, en calcaire fin, représente un corps d'homme haut de 1,74 m en décomposition avancée. L'anatomie n'est cependant pas totalement respectée. Le crâne est tourné vers le ciel, la main droite est placée sur la poitrine alors que la main gauche est également tendue vers le ciel. Elle tenait, à l'origine, un réceptacle en vermeil contenant le cœur. Le crâne tourné vers le ciel représente la vision de Dieu à l'heure de la mort et que le défunt se plie au jugement divin. Par la main tendue, le défunt offre son cœur en gage d'éternel amour à son épouse, à moins que ce ne soit à Dieu. Le corps est accompagné d'un écu symbolisant la chevalerie et indiquant que le défunt est mort sur le champ de bataille. L'absence d'armoiries sur l'écu symbolise la perte des titres de noblesse et des richesses dans la mort. Une feuille de vigne, artifice de pudeur, tente de cacher un sexe depuis longtemps disparu.

En 1782, les chanoines abandonnent la collégiale St-Maxe pour l'église St-Pierre qui fut rebaptisée St-Étienne. Les dépouilles des ducs de Bar et de Lorraine furent transférées dans la nouvelle église le 10 juin 1790. En 1793, le monument fut vandalisé. La main gauche et le réceptacle en vermeil furent détruits ou volés. En 1810, le monument de René de Chalon, initialement installé au sol, fut recomposé. Il fut installé verticalement devant une peinture d'un grand manteau d'hermine, réalisée par Varambel, et flanqué, de chaque côté, d'une colonne en marbre noir provenant de St-Maxe. L'ensemble fut surmonté d'un cimier avec un écu entouré de la toison d'or. La partie basse du monument fut transformée en ossuaire pour recevoir les ossements des ducs de Bar et de Lorraine. La main gauche fut refaite avec un sablier à la place du cœur. Depuis le sablier a été remplacé par une boite dorée en forme de cœur. À cette occasion, on s'aperçut que la statue est constituée de trois parties. La première comprend le socle, les jambes et le bassin, la deuxième le ventre, le torse et la tête et la troisième le bras gauche.

Le monument, classé Monument historique en 1898, fut démonté en 1917 et expédié au Panthéon à Paris pour le protéger des méfaits de la guerre. Il bénéficia d'une première restauration en 1968 puis d'une restauration complète en 2001. En 2002, une haute grille de protection fut installée devant le monument selon un projet de l'architecte en chef des Monuments historiques.

Un moulage du monument fut réalisé en 1894 pour le compte du musée de la sculpture du Trocadéro. Un autre fut réalisé en 1922 afin d'orner la tombe du poète/auteur dramatique Henri Bataille à Moux dans l'Aude. Le "Transi" de René de Chalon a également inspiré d'autres œuvres. Louis Aragon en parle en 1941 dans le "Crève-cœur" et Mylène Farmer en a fait un décor de scène pour son spectacle "Tour 2009" et le Stade de France.

Le terme "Transi" est une déformation de trépassé dans le sens de défunt. L'art funéraire marque un tournant lors de la transition du Moyen-âge vers la Renaissance. Au Moyen-âge, la mort était considérée comme une étape du chemin permettant d'accéder à la vie éternelle. À la Renaissance, la mort est un arrachement à la vie. La représentation des défunts devient plus macabre pour faire ressortir la souffrance nécessaire au passage à la vie éternelle. Les "Transi" apparaissent au XIV^e siècle dans l'est de la France et en Allemagne occidentale. Ils sont spécifiques à cette partie de l'Europe avec quelques exceptions en Italie et en Espagne. Le nombre de "Transi" est de 5 pour le XIV^e siècle, 75 pour le XV^e, 155 pour le XVI^e et 29 pour le XVII^e siècle. Ils représentent le défunt couché, exceptionnellement debout, dans une attitude réaliste, nu voire en putréfaction. Les "Transi" sont une rupture dans l'art funéraire. En même temps apparaissent des ouvrages sur l'art de mourir et les danses macabres. Ces œuvres évoquent la foi, la mort, la résurrection et la vie éternelle.

Le "Transi" est situé dans l'église St-Étienne dans la ville haute de Bar-le-Duc. Attention, l'église est fermée d'octobre à avril.

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