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Le sanctuaire des Séquanes

Autour du lac d'Antre, sa perte et la résurgence de l'Héria s'établit entre le 1er et le IIIe siècle apr. J.-C. un des plus importants sanctuaires de la Gaule. Autour du culte de l'eau y étaient vénérés le dieu Mars et son épouse (ou sœur ?) Bellone.

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Le Pont des Arches

Le sanctuaire est reparti sur deux sites : le site supérieur aux abords du lac d'Antre et le site inférieur aux abords de la résurgence des eaux de l'Héria. Le lac d'Antre est un petit plan d'eau d'une superficie de onze hectares niché au pied de la Roche d'Antre qui culmine à 961 m d'altitude. Le lac d'une profondeur de 4,50 m est alimenté par les sources de Borne Sonnante, de Fontaine aux Prêtres et de Pertuis-Louveret. Le niveau du lac est actuellement rehaussé par la présence d'un petit barrage. Ce barrage remplace un barrage antique établi du temps des Romains. Les eaux du lac se perdent dans les failles calcaires en aval du barrage pour réapparaitre 35h plus tard à la source du Puits Romain au centre du site inférieur. Le Puits Romain situé à 712 m d'altitude est actif toute l'année, même lors de forte sècheresse. Deux autres sources, le Puits Blanc (726 m d'altitude) et le Puits Noir (737 m d'altitude) servent de trop-plein. Des expériences, effectuées durant les années soixante, ont établi que les eaux du lac d'Antre effectuent leurs parcours souterrains en 35h pour ressurgir au Puits Romain. Mais un lâcher d'eau au barrage du lac influence le débit du Puits Romain en l'espace de 2h. Ces caractéristiques étaient certainement connues et exploitées par les prêtres afin d'impressionner les pèlerins.

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Le lac d'Antre

lac d'antre
Le lac et la roche d'Antre

Le site supérieur ne nous est connu que par des informations du XVIIIe siècle et les recherches de monsieur Champay faites entre 1837 et 1839. Au nord-est du lac furent reconnues les ruines d'un temple circulaire, d'un temple rectangulaire, de différents petits bâtiments et de murs non identifiés. Le temple circulaire aurait été muni d'un dallage en marbre polychrome. Face à son entrée, située à l'est, ont été découverts les vestiges d'une statue (perdu depuis) dont la tête, barbue, était munie de deux trous au-dessus des yeux. Ces trous étaient visiblement destinés à recevoir des cornes ou des bois de cerf. Ce qui permet d'envisager une représentation du dieu gaulois Cernunnos. Le temple rectangulaire avait une longueur de 18 m et une largeur de 9 m avec une entrée à l'est. Ses vestiges ont servi de soubassement à la ferme actuelle. Différentes inscriptions sur des blocs de pierre ont également été exhumées. Elles attestent du culte de Mars dès le 1er siècle apr. J.-C. Un fragment d'une plaque de bronze découvert en 1807 a été identifié comme étant un calendrier gaulois similaire à celui de Coligny découvert en 1897. Il n'en subsiste malheureusement qu'un dessin. À l'heure actuelle, aucun vestige du site supérieur n'est plus visible.

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Un des vestiges du site inférieur est toujours resté visible. Il s'agit du Pont des Arches. Celui-ci est constitué de deux étroites galeries, larges de 1,20 m et longues de 23,50 m, permettant l'écoulement des eaux de l'Héria en provenance du Puits Blanc et du Puits Noir. Ces galeries sont hautes de 2,30 m en amont et de 4,20 m en aval. Elles sont construites en gros appareil sans mortier. Ce Pont des Arches a été utilisé depuis l'antiquité pour franchir l'Héria. La route vers le lac d'Antre qui l'empruntait n'a été déviée qu'en 1970. Ces vestiges ont attiré l'attention des antiquaires à partir de la fin du XVIIe siècle. Les premières fouilles officielles furent effectuées par le jésuite Dunod qui obtint même une subvention de Louis XIV. Au cours du XVIIIe siècle, quelques érudits locaux effectuèrent des sondages sur le site. Entre 1837 et 1839, Champay effectua des fouilles autour du lac d'Antre et du Pont des Arches et fit d'intéressantes descriptions. La fin des subventions de la Société d'Émulation du Jura et l'hostilité des paysans mirent un terme à ses recherches. En 1950, Émile Thévenot reprit quelques prospections sur le site. Les recherches d'eau potable effectuées en 1958 et 1960 mirent à jour le Puits Romain. La source jaillissante à cet endroit sera captée. Son eau alimente toujours les habitants de Villards d'Héria et une partie de Moirans-en-Montagne. Alerté par la découverte du puits, le professeur Lucien Lerat entreprit la fouille du site. La structure de protection fut mise en place en 1995.

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L'aval du Pont des Arches

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Détail d'un des deux arches

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Détail de la voûte

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L'amont du Pont des Arches

Le site du Ponts des Arches est constitué de trois zones : la zone cultuelle (au nord), la zone centrale et la zone balnéaire (au sud). La zone cultuelle est composée du temple situé sur le Pont des Arches, d'une place dallée au centre de laquelle est située la fontaine sacrée (le Puits Romain) et d'une plate-forme en abside située à l'est. Le temple était constitué d'une cella de 13,78 m de longueur pour 11,84 m de large munis d'une porte sur le côté est. Cette cella contenait la ou les statues de la ou des divinités. La cella était entourée d'une galerie de 3,50 m de large. Au nord et au sud, le côté extérieur de cette galerie donnant sur l'Héria était constitué d'un mur bas surmonté de colonnes. Côté est, les colonnes prenaient directement appui sur le sol de la galerie. La galerie était couverte d'un toit en lauze situé à mi-hauteur de la cella. Celle-ci possédait certainement en partie haute des fenêtres et était coiffée d'une toiture à deux pans en lauze. La construction du temple semble dater de 176 apr. J.-C. et remplace une construction plus ancienne.

plan
Plan du site inférieur réalisé d'après document exposé sur place

À l'est de la zone cultuelle se trouvait au même niveau que le temple une plate-forme fermée à l'est par une abside. Sur cette plate-forme étaient disposés les autels votifs servant au culte public. La plate-forme était certainement couverte avec une voute en cul de four (quart de sphère) réalisée à l'aide d'une charpente en bois. La façade (face au temple) était probablement constituée d'une colonnade. Les deux galeries nord et sud du temple se prolongeaient jusqu'à l'abside. Les côtés extérieurs de ces galeries étaient constitués d'un mur en petit appareil et les côtés internes étaient constitués de colonnes. Entre le temple et la plate-forme était située, deux mètres en contrebas, une place dallée au centre de laquelle se trouvait la fontaine sacrée nommée depuis le Puits Romain. L'accès à la place se faisait, côté est, par un escalier à double volée de 7 m de large et côté ouest, un escalier plus petit donnait accès au temple. Le Puits Romain est un bassin circulaire d'un diamètre extérieur de 3,80 et d'un diamètre intérieur de 1,80 m. Il a été construit en gros appareil et est conservé sur trois assises soit une hauteur de 1,35 m. Les murs sont percés de deux canalisations et d'un trop-plein. L'étanchéité des blocs a été assurée par des rainures larges de 3 à 5 cm et profondes de 2 à 3 cm remplis par un cordon d'étanchéité à base d'argile.

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Le soubassement du temple

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Les vestiges du mur ouest du temple

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La zone cultuelle

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L'abside de la zone cultuelle

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L'escalier côté est avec sur la droite la construction moderne pour le captage de la source

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La zone cultuelle vue depuis le temple

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La source sacrée coiffée aujourd'hui par la construction de captage

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Vestiges de canalisations

La zone centrale est un espace trapézoïdal dont le centre est occupé par un monument circulaire de 7 m de diamètre réalisé en gros appareil. Le peu de vestiges conservé rend son interprétation difficile. Il s'agit probablement d'un kiosque vitré. De nombreux fragments de verre à vitre ont été retrouvés à proximité. L'espace trapézoïdal était entouré à l'est et à sud et certainement à l'ouest par une galerie. Cette galerie donnait sur la plate-forme de la zone cultuelle par une porte monumentale dont les crapaudines en bronze (gond inférieur) étaient encore en place au niveau du seuil. Cette galerie était ornée de fresques murales peintes sur des fonds rouge ou blanc. Ces fresques étaient constituées de motifs végétaux et d'animaux. Dans la galerie fut retrouvée la base d'une statue en bronze représentant un prêtre des Trois Gaules, le rang le plus élevé dans la hiérarchie religieuse romaine. Les archéologues furent en mesure de reconstituer l'inscription figurant sur la base : "A Caeus Licinus Campanus, fils de Latinus, de la tribu Pomptina, Éduen, prêtre des trois provinces des Gaules, gratifié de toutes les charges et honneurs dans son pays, les Séquanes aux frais de l'état".

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La zone centrale avec le kiosque ?

embase de la statue
L'embase de la statue de Caeus Licinus Campanus


Au sud de la zone centrale s'étend la zone balnéaire constituée d'un bâtiment de 70 m de longueur et large de 25 m. Cette zone se prolonge peut-être vers le sud-ouest et une place avec un hémicycle à la fonction inconnue la complète au nord-est. Le bâtiment comprend une zone centrale flanquée de deux galeries longitudinales. La galerie ouest, située au bord de l'Héria, est soutenue par un mur en grand appareil. Elle était ouverte par une colonnade sur la rivière. Dans le mur externe de la galerie est sont aménagées sept exèdres (salle ouverte sur une galerie et garnie de bancs). L'exèdre centrale est de forme circulaire, les six autres sont rectangulaires. Ces exèdres étaient éclairées par des fenêtres vitrées comme en témoignent les nombreux éclats de verre retrouvés. Sur les murs de ces exèdres étaient fixés des tegulae (tuiles en terre cuite) qui créaient un vide sanitaire permettant de lutter contre l'humidité. Ces tegulae étaient recouverts d'enduits et peints avec des fresques. Au sud du bâtiment une galerie assurait la liaison entre les galeries longitudinales.

zone balnéaire
La zone balnéaire

exedre
L'exèdre central

La zone balnéaire était située au centre de ce bâtiment. Elle est constituée de deux espaces aménagés de manière identique. Les deux espaces ne communiquaient pas entre eux. Cette séparation permettait peut-être de séparer les hommes des femmes ou alors de n'ouvrir qu'une partie du site en cas de moindre affluence. Chaque zone est constituée d'une piscine, d'une salle chauffée par hypocauste, une chambre de chauffe et de salles annexes servant probablement de vestiaires. La piscine du nord est un carré de 6 m de côté. Celle du sud ne fait que 5,20 m sur 4,20 m. Les deux ont une profondeur de 1,50 m. Elles sont construites à l'aide de grandes dalles en calcaire étanchéifié par un mortier. Elles sont entourées par un promenoir et deux escaliers de quatre marches permettaient l'entrée et la sortie des pèlerins. L'eau était amenée depuis la fontaine sacrée par des conduites en plomb. Elle se déversait dans un bassin peu profond aménagé dans le promenoir et dont le trop-plein alimentait la piscine. Ce bassin était garni par une feuille de plomb, toujours présente dans la piscine nord. La vidange des piscines s'effectuait par une canalisation aménagée à la base du bassin et débouchant dans l'Héria.

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La piscine nord vue depuis le côté de la zone cultuelle

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La piscine nord vue du sud

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Les deux escaliers de la piscine nord

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Le bassin déversoir de la piscine nord

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La piscine sud

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La piscine sud

Ces piscines n'étaient pas destinées à se laver, mais à s'immerger dans l'eau sacralisée par la présence des dieux. Et donc chaque piscine était munie d'un tronc à offrande comme il se doit dans les centres de pèlerinage. Les pèlerins devaient descendre dans la piscine par un des escaliers, s'immerger totalement puis remonter par l'autre escalier. Ils pouvaient ensuite aller se réchauffer dans la salle chauffée attenante à la piscine. La température de l'eau de la fontaine sacrée est de dix degrés en été et de quatre degrés en hiver.

L'ensemble du bâtiment était couvert par un toit réalisé à l'aide de lauze et de tuiles romaines. Les sols étaient recouverts de marbre et tous les murs possédaient des fresques. Les marbres utilisés provenaient des Vosges, du Morvan, du Val d'Aoste, de Carrare, de Villette et de Modane en Savoie. Certains échantillons ont été identifiés comme provenant de Grèce et d'Égypte.

tronc offrande
Les deux troncs à offrandes découvert sur le site

tegulae
Des tegulae

Le bâtiment que je viens de décrire résulte d'un agrandissement réalisé sous le règne de l'empereur Marc Aurèle (162-180 apr. J.-C.). Le premier bâtiment ne couvrait que la moitié de la surface. La deuxième piscine se trouvait avant à côté de la première, à la place de la salle chauffée.

salle chauffée
La salle chauffée de la piscine sud

salle chauffée
Vestiges de la salle chauffée par hypocauste de la piscine sud

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La salle attenante à la piscine sud

Lors de la construction de la nouvelle route allant au lac d'Antre en 1970 furent découverts, 100 m au nord du Pont des Arches, les soubassements d'une grande construction. Celle-ci était constituée de quatre ailes entourant une cour centrale. Chaque aile était composée d'une série de pièces séparées par des cloisons en bois. La cour et les côtés extérieurs des bâtiments étaient entourés d'une galerie à colonnade. Cette construction est considérée par les archéologues comme une hospitalia destinée à l'hébergement des pèlerins. Les vestiges ont été réenterrés et ne sont plus visibles.

colonne
Vestiges des colonnes

L'occupation du site a été datée à partir des trouvailles monétaires réalisées durant les fouilles. Cette occupation a démarré durant la première moitié du 1er siècle apr. J.-C. Mais le site n'a pris de l'importance qu'à la fin du 1er siècle. Le site semble avoir été totalement abandonné lors de la deuxième moitié du IIIe siècle. Cet abandon semble correspondre à la période d'insécurité qui s'établit à cette époque en Gaule. La chute de l'Empire romain n'est plus très loin.

galerie est
La galerie est de la zone balnéaire

mur de la galerie
Mur de la galerie ouest de la zone balnéaire

De nombreuses questions restent sans réponse, car l'ensemble du site n'a pas encore été fouillé. Ainsi l'enceinte générale entourant normalement les sanctuaires romains n'a pas encore été découverte. Et la circulation des pèlerins autour du site n'a pas pu être déterminée. De même, l'extension du site et de l'agglomération accompagnant ce type de sanctuaire reste inconnue. Les pratiques cultuelles effectuées sur le site nous restent aussi largement inconnues. Beaucoup de sanctuaires associés au culte de l'eau connu en Gaule ont une vocation thérapeutique. Aucune preuve ne permet d'émettre une hypothèse de ce genre pour Villards d'Héria. Aucun ex-voto anatomique n'a été mis à jour. Il semblerait que les pèlerins venaient chercher ici une protection des dieux notamment le couple Mars - Bellone, dieu et déesse romains de la guerre associée aux cultes de l'eau.

zone balnéaire
La zone balnéaire avec, sur la droite, le cours de l'Héria

Les inscriptions retrouvées sur le site, la richesse des décorations et les découvertes mobilières notamment de 264 objets en verre témoignent que la réputation des sanctuaires de Villards d'Héria dépassait largement les frontières de la Séquanie.

Ces photographies ont été réalisées en juillet 2010.

 

Y ACCÉDER:

Les accès au site inférieur et au lac d'Antre sont fléchés à Villards d'Héria.

 



Les indications pour accéder à ce lieu insolite sont données sans garantie. Elles correspondent au chemin emprunté lors de la réalisation des photographies. Elles peuvent ne plus être d'actualité. L'accés au lieu se fait sous votre seule responsabilité.

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Cette page a été mise en ligne le 19 septembre 2010

Cette page a été mise à jour le 16 février 2015