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Le fort Uhrich

Après l'annexion de l'Alsace et de la Moselle en 1871, l'Allemagne entreprit la fortification de sa nouvelle frontière. La France fit de même avec la construction de la ligne de forts dits "Séré de Rivières" allant de la Manche à la Méditerranée. L'Allemagne conçut de grands camps retranchés en entourant les villes de Metz et de Strasbourg d'une ceinture de forts destinés à empêcher le bombardement de l'enceinte urbaine par l'artillerie ennemie. Cette ceinture de forts, située à huit ou neuf kilomètres de la ville, positionnait l'artillerie de l'assaillant à plus de douze kilomètres du cœur urbain.

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Le bâtiment d'entrée du fort

Strasbourg, point de passage stratégique sur le Rhin, fut donc entourée de quatorze forts dont les constructions débutèrent en 1872. Onze de ces forts furent implantés sur la rive gauche du Rhin et trois sur la rive droite. Les intervalles entre deux forts jugés trop importants reçurent, à partir de 1887, des ouvrages intermédiaires. Cinq de ces ouvrages furent donc construits sur la rive gauche du Rhin. Le dispositif fut complété par la construction, entre 1893 et 1918 près de Mutzig, du plus grand fort d'Europe, la feste Kaiser Wilhelm. La mission de ce fort géant était l'interdiction de la vallée de la Bruche, un des débouchés principaux pour les armées françaises voulant traverser les Vosges.

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L'entrée de la place d'armes

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Le poste de garde et de défense de la place d'armes

Les forts de Strasbourg ont été construits selon des plans types établis par l'Ingenieur-Komitee dirigé par le général Von Biehler. Peu de liberté fut laissée aux responsables des travaux, ce qui fait que les forts sont très similaires. La présence, à peu de profondeur, de la nappe phréatique au sud et à l'est de Strasbourg a imposé la construction de deux types de forts. Ceux au nord et à l'ouest sont des forts enterrés dont le haut dépasse à peine de la surface du sol minimisant ainsi la cible pour le tir rendu des canons de l'époque. Ces forts sont entourés d'un fossé sec. Les forts érigés au sud et à l'est de Strasbourg sont eux des forts construits en surface et entourés d'un fossé en eau comme les douves des châteaux-forts du Moyen-âge. Ces forts et ouvrages sont l'ouvrage Neu-Empert, le fort Ney (Fransecky) et l'ouvrage Ney-Rapp (Fransecky-Moltke) au nord-est de Strasbourg, le fort Lefebvre (Von Der Tann), le fort Uhrich (Werder), l'ouvrage Uhrich-Hoche (Werder-Schwarzhoff) et le fort Hoche (Schwarzhoff) au sud de la ville ainsi que les forts Kirchbach, Bose et Blumenthal sur la rive droite du Rhin. Les forts de la rive droite ont été rasés après la 1re Guerre mondiale par l'armée française. Le fort Uhrich est le seul fort à fossé en eau librement accessible au public en France.

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L'entrée du fort au-delà du fossé de gorge

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La caponnière gauche et le fossé latéral

Le fort Uhrich, baptisé par les Allemands "fort Werder", a été construit entre 1873 et 1876. Le fort s'inscrit dans un hexagone aplati d'une emprise de 500 m de longueur pour 300 m de largeur. Le front de tête (côté faisant face à l'ennemi) présente, en son milieu, un saillant et le front de gorge (côté arrière), un rentrant. Le fort est entouré d'un fossé d'une largeur maximale de 47 m et d'une profondeur de 3 m, rempli d'eau. L'accès au fort se fait par le centre du front de gorge où un pont, initialement en bois, traverse le fossé. Sur le côté externe au fossé se trouve à cet endroit une petite place d'armes entourée de murs surmontés de grilles en fer et défendue par un petit corps de garde muni de meurtrières pour le tir au fusil.

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Le bâtiment d'entrée

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Vue au travers d'une meurtrière sur les latrines

Le pont, muni d'un pont-levis, débouche sur le porche d'entrée défendu par des créneaux de mousqueterie de part et d'autre. Des positions d'infanterie terrassées sont également placées de chaque côté permettant la défense avec des fusils du fossé de gorge et de l'entrée. Le porche d'entrée donne accès à la galerie principale qui sépare le fort en deux parties symétriques. Après les postes de garde, une galerie perpendiculaire donne accès aux deux cours intérieures sur lesquelles s'ouvrent les façades du casernement. Après ce passage, la galerie principale est bordée d'une série de chambrées servant de magasin de stockage notamment pour les vivres. La galerie débouche ensuite sur le couloir à l'arrière du casernement.

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L'entrée du fort

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Vue sur le couloir principale au niveau de la grille d'entrée

Le casernement est disposé symétriquement en arrière du front de tête. Il se compose de deux fois 14 chambrées au rez-de-chaussée et autant au 1er étage. Dans la caserne sont regroupées les chambres pour le logement des hommes de troupes et des officiers, les cuisines et la boulangerie. Les latrines sont par contre disposées de part et d'autre du porche d'entrée du fort au niveau des locaux servant à la défense de l'entrée. Les chambrées situées aux deux extrémités gauche et droite du casernement servaient de magasin pour les obus et de laboratoire d'assemblage des munitions. De chaque côté du casernement est disposée une poudrière. La poudrière est constituée d'un local entouré d'une galerie la séparant des murs extérieurs. Ceci permet de soustraire le local de l'humidité régnant dans les locaux enterrés. Les poudrières sont reliées au casernement par une galerie dont le prolongement mène aux caponnières latérales.

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La défense des fossés des fronts latéraux est assurée par deux caponnières situées dans les prolongements du casernement. Ces caponnières ont neuf créneaux de mousqueterie dirigée vers le front de gorge. Au centre du front de tête est disposée, sur une presqu'ile, une caponnière double. Celle-ci est reliée au casernement par une galerie située dans le prolongement de la galerie principale. Cette caponnière était armée avec quatre canons revolver de 37. L'ensemble des bâtiments du fort a été construit en pierre de taille (grès des Vosges) et en briques. Les voutes des locaux ont une épaisseur variant de 1,75 m au niveau des ailes à 2,20 m au niveau de la partie centrale. Les bâtiments étaient également recouverts, du côté des fronts de tête et latéraux par une couche de terre d'environ 4 m d'épaisseur. Au-dessus du casernement et sur les côtés étaient installées les dix plateformes de tir. Ces plateformes, dont quatre possédaient des emplacements doubles, étaient séparées par des traverses-abris servant à abriter les artilleurs et les munitions. Les traverses-abris étaient reliées aux locaux techniques du casernement par des escaliers internes et des monte-charges destinés aux munitions. Les plateformes étant à l'air libre, des rampes d'accès permettaient la mise en place des canons depuis la cour. À sa mise en service, le fort était armé avec 14 canons de 90 et 7 obusiers Hotchkiss-Guson de 37.

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La caponnière gauche

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La caponnière gauche

L'invention de nouvelles poudres plus efficaces, à partir de 1885, rendit les forts (allemands et français) très vulnérables. Les constructions ne résistaient pas aux nouveaux obus d'un calibre égal ou supérieur à 150 mm. C'est la crise de l'obus-torpille bien connu dans les forts "Séré de Rivières". Le génie allemand entreprit donc la modification des forts. L'artillerie fut sortie des forts et installée dans des batteries annexes. Les voutes de certains locaux furent renforcées par une couche de sable recouverte d'une couche de béton puis de nouveau recouvert d'une couche de terre. Le génie français fit de même pour les forts "Séré de Rivières". Au fort Uhrich, la modernisation fut réalisée entre 1889 et 1890. Sur la quasi-totalité des bâtiments fut mise en place une couche de sable (de 1 m d'épaisseur) recouverte d'une dalle en béton (d'une épaisseur comprise entre 1 m et 1,40 m). Les canons du fort furent installés dans deux batteries extérieures (sur le front latéral droit) comprenant chacune quatre canons de 90 et des locaux pour abriter les munitions et les hommes. Ne restèrent dans le fort que quatre canons de 90.

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La façade du casernement gauche

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Le casernement gauche

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Une des entrées du casernement

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Le casernement gauche

En 1898, une batterie de 3 canons sous cuirasse acier KISL de 100 fut construite entre le fort Uhrich et l'ouvrage Uhrich-Hoche. Afin de pouvoir diriger ces canons sous le feu de l'ennemi, une cloche d'observation blindée fut installée sur le front de tête du fort en avant du casernement au-dessus de la galerie d'accès à la caponnière double. Elle est complétée par deux observatoires dits "observatoire escargot" réalisé ici en béton et non comme habituellement en tôle. Avec ses modernisations, le fort s'est transformé, comme les autres forts de la place, de fort d'artillerie en fort d'infanterie.

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La coupole de l'observatoire blindé de 1898

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Un des "observatoire-escargot"

Le fort ne connut pas l'épreuve du feu. Le front durant la 1re Guerre mondiale s'est arrêté sur le sommet des Vosges. Strasbourg était loin du front. Les forts strasbourgeois servirent de camps de prisonniers et d'hôpitaux. En 1918, ils furent remis, intacts, à l'armée française. Un décret de 1919 leur attribua des noms français. Le fort Werde devint le fort Uhrich. Les deux noms étaient ceux de généraux qui s'affrontèrent lors de la bataille de Strasbourg en 1870. Après avoir prévu la destruction des forts strasbourgeois, les militaires décidèrent d'incorporer les forts de la rive gauche du Rhin au sein de la ligne Maginot. Les forts de la rive droite furent rasés pour que les Allemands ne puissent plus s'en servir. Les forts furent utilisés comme casernes et comme dépôts de matériels. Durant la 2e Guerre mondiale, l'armée allemande en fera des dépôts de matériels et des camps de prisonniers. Lors du repli allemand en 1944, le fort Uhrich fut ravagé par un incendie (volontaire ou accidentel ?). Comme dans tout incendie qui sévit dans un local fermé, la chaleur dégagée dépassa largement les 1000 °C faisant fondre les infrastructures et une partie des murs et des voutes. Les locaux du fort sont de ce fait très dangereux. Après avoir servi de terrain d'exercice au 1er régiment du Génie, le fort appartient, depuis 1980, à la ville d'Illkirch-Graffenstaden. Les abords du fort ont depuis été aménagés en promenade et les accès aux locaux condamnés.

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Les abris de la batterie annexe

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Une des chambrées de cet abri

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Un abri entre le fort Uhrich et l'ouvrage Uhrich-Hoche

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Une des chambres de cet abri noirci par la fumée d'un incendie

Ces photographies ont été réalisées en février et en mai 2016.

 

Y ACCÉDER:

Le parc du fort Uhrich est librement accessible du printemps à l'automne de 8 h à 20 h. Le fort est situé entre le golf du Fort et le canal du Rhône au Rhin, rue du Fort Uhrich à Illkirch-Graffenstaden.

 

Les indications pour accéder à ce lieu insolite sont donnés sans garantie. Elles correspondent au chemin emprunté lors de la réalisation des photographies. Elles peuvent ne plus être d'actualité. L'accès au lieu se fait sous votre seule responsabilité.

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Cette page a été mise en ligne le 11 juillet 2016

Cette page a été mise à jour le 11 juillet 2016